Jean Viard : « Avec la pandémie, on a pu voir ce que serait une société sans tourisme ni loisirs »

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La Grande Pandémie, en confinant chez eux cinq milliards d’humains, a mis en scène le premier combat mondial d’une humanité réunifiée. Il y a là un événement-monde que nous allons mettre des années à mesurer, à penser et à comprendre, un événement-monde qui ouvre le combat que nous allons chaque jour davantage mener pour tenter de sauver les humains. Car la Terre, elle, peut bien continuer son aventure sans nous.

Mais cette lanceuse d’alerte que fut la Grande Pandémie nous a aussi montré que si on cesse de sortir pour le plaisir, de dîner dehors, de voyager, de prendre des vacances, alors la ville est vide, la culture somnolente, l’amour prévisible, la citoyenneté absente. Car toutes ces pratiques sociales inventées en deux siècles sont devenues comme la double peau du monde. Des sociétés peu à peu urbanisées et industrialisées ont quitté les rythmes agraires des temps et des lieux pour inventer un nouvel espace-temps, celui des voyages et des vacances, des loisirs urbains et des rencontres multiples. En chemin, ce nouvel ordre du vivre a incorporé les anciennes fêtes, processions et pèlerinages. Il y a aujourd’hui plus de monde sur une plage ou à un festival que dans les églises ou à Billancourt. Les grands rassemblements de nos sociétés, en Chine comme en France ou ailleurs, ont lieu dorénavant sur des autoroutes, éternellement saturées quand Bison futé pointe le nez.

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Mais cette nouvelle civilisation du lien, ce double d’une planète salariale, n’a jamais été un projet en soi. Le projet était la production, l’éducation, le progrès, la puissance. Seulement, les anciennes élites aristocratiques, peu douées pour le travail, ont continué à faire cour après la mort du roi, les nouvelles élites cultivées ont voulu voir les lieux magiques de leurs livres d’histoire et les peuples ont voulu diminuer la pression du travail et de l’exploitation. C’est ainsi que, peu à peu, on inventa les plaisirs de la mer et de la neige, l’amour de la campagne et les voyages en ville, les festivals et les parcs de loisirs. La ville elle-même se transforma en immense centre de loisirs où habitants et voyageurs se mirent à voisiner, à aller au Louvre ou à Paris Plages, dans les brasseries, les théâtres, les cinémas, les kebabs et les McDo. Alors les adultes devinrent de grands enfants équipés de jouets multiples : jardins – pour les deux tiers des Français –, piscines – pour trois millions d’entre eux –, voitures, motos, vélos, écrans plats, résidences secondaires – quatre millions…

Nouvelle religion

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