Un voyage peut-il être 100% virtuel ? Comment le tourisme tente de miser sur le métavers

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ENQUÊTE – Les acteurs du secteur commencent à placer leurs pions dans ces mondes virtuels, encore embryonnaires mais pleins de promesse. Alors, tourisme de demain ou poudre de perlimpinpin ? On vous aide à y voir plus clair.

Imaginez la scène : derrière vos lunettes de réalité virtuelle, vous vous lancez dans l’ascension du Machu Picchu. Le temple du soleil, les terrasses agricoles, le quartier des nobles, le temple du Condor… Tout y est. Même Pédro, le guide conférencier chargé de mener un groupe de touristes virtuels, dont vous êtes, à travers les principaux monuments du site Inca. Soudain, les ruines disparaissent pour laisser place à des bâtiments flambant neufs. Vous voilà dans la citadelle comme elle l’était au XVe siècle, peu après sa construction. Plus besoin d’imaginer la grandeur passée de cette merveille du monde, vous pouvez l’admirer. Pour de vrai. Ou presque.

Pour le moment, tout cela n’est encore qu’une projection. Mais c’est le projet vers lequel tendent les développeurs du métavers, ce concept popularisé par l’annonce tonitruante de Marc Zuckerberg en juillet 2021 de la construction par Facebook (rebaptisé Meta depuis) d’un metaverse (prononcé à l’anglaise) ou métavers (en français).

Détails techniques mis à part, le métavers est un monde virtuel, une sorte d’Internet en trois dimensions avec des lieux pour faire des recherches, discuter, regarder des vidéos ou faire des achats. À terme, il permettrait aussi réunir de nombreux internautes immergés dans un monde persistant (c’est-à-dire qui ne disparaît pas quand les utilisateurs se déconnectent) grâce à des lunettes de réalité virtuelle. Roblox, Minecraft, Sandbox, Horizon World, Decentraland… de nombreux jeux vidéo cherchent à se changer en métavers et à grapiller leur part du gâteau à grands coups de milliards d’investissement. Ils sont si nombreux qu’on parle parfois des métavers, au pluriel, plutôt que du métavers.

Un outil promotionnel, uniquement ?

Le tourisme n’est pas la première utilisation envisagée par les bâtisseurs de ces univers virtuels. Pourtant, certains acteurs du secteur se positionnent déjà, comme l’office de tourisme de Benidorm. Une reconstitution virtuelle de la station balnéaire espagnole sera accessible sur la plateforme de gaming Steam dès le 22 mai 2022. Le « BenidormLand », un métavers développé par Six3D, aura pour mission de promouvoir la destination. « C’est une vitrine, une sorte de site web surdoué qui permet aux utilisateurs de se promener dans les rues. À l’avenir, ils pourront même explorer ses parcs à thème, ses hôtels, ses restaurants », précise Visit Benidorm dans un communiqué. L’appétence du jeune public n’a, elle, rien de virtuel : selon une étude Yougov réalisée du 24 au 25 février 2022, 47 % des 18-24 ans seraient curieux de visiter une destination touristique à travers un métavers.

En France, l’office de tourisme de Val d’Isère étudie également la question. « J’ai acheté sur mes fonds propres des terrains qui correspondent à nos établissements, comme le bâtiment de l’office de tourisme ou le centre aquasportif de Val d’Isère, dans trois métavers différents : Next Earth , OVR et Earth 2, confie Christophe Lavaut, directeur de l’office de tourisme de Val d’Isère. En réalité on spécule sur ces espaces virtuels sans même savoir quels seront les usages, mais je préfère me positionner maintenant tant que c’est accessible. » L’office de tourisme est en train de tester des environnements numériques à intégrer à ces parcelles virtuelles. « L’idée serait par exemple de recréer une partie de Val d’Isère comme le front de neige pour donner envie aux gens de venir. En vrai. »

Le metavers comme simple reproduction de la réalité : ce genre de projet ne convainc pas Fred Volhuer, créateur d’Atlas V, un studio de création de contenus immersifs. Il a notamment organisé en février 2022 un concert en partenariat avec Arte sur Horizon World, la plateforme de Meta. «L’intérêt du Métavers n’est pas de recréer des paysages. Si on doit faire un métavers du tourisme, il faut que ce soit autour d’événements, d’activités et de culture. Paris ce n’est pas des rues, c’est aussi des spectacles, des musées, des bars. Si on cherche le dépaysement, la découverte d’une terre, je pense que le virtuel ne dépassera jamais le réel», conclut-il.

Le tourisme n’a d’ailleurs pas attendu le métavers pour investir le virtuel. Visite de musées en trois dimensions, balade derrière son écran dans les grands monuments avec Google Street View ou encore safaris online existent déjà depuis plusieurs années. Et rien de tout cela ne nous a passé l’envie de voyager dans le monde réel. Le revenge travel qui a suivi les longues semaines de confinements en est la preuve.

À l’arrivée d’Internet, c’était pareil. Tout le monde disait « ça ne peut pas arriver », « on n’en a pas besoin ». Aujourd’hui, il n’y a pas une institution touristique qui n’a pas son site

Sophie Lacour, directrice générale d’Advanced tourism

Pour Sophie Lacour, directrice générale d’Advanced tourism, société de conseil en innovation pour les acteurs du tourisme, le métavers ne doit pas se contenter d’être une jolie vitrine. Il pourrait être utilisé en appui d’un voyage ou d’une visite réels. Grâce à leur smartphone, à une tablette ou à des lunettes connectées, les visiteurs pourraient se repérer dans le monument, découvrir d’autres lieux d’intérêts situés à proximité ou accéder à du contenu supplémentaire. Une sorte de réalité augmentée adaptée au Metavers, en somme. On pourrait ensuite se rendre dans le métavers après la visite réelle pour accéder à ce qu’on n’aurait pas pu voir et approfondir.

Mais comment rentabiliser les investissements, coûteux, placés dans cette technologie ? « On peut imaginer de doubler la destination avec une économie liée au métavers et à sa visite, en faisant payer l’entrée de certains lieux virtuels par exemple», assure Sophie Lacour. Reste que, selon elle, les acteurs du tourisme «ne sont pas prêts». «À l’arrivée d’Internet, c’était pareil. Tout le monde disait “ça ne peut pas arriver”, “on n’en a pas besoin”. Aujourd’hui, il n’y a pas une institution ou entreprise touristique qui n’a pas son site. »

Séoul a de son côté annoncé, dès 2023, ouvrir son propre métavers avec les grandes attractions touristiques de la ville comme la place Gwanghwamun, le palais Deoksugung et le marché de Namdaemun. Certains monuments disparus, comme la porte Donuimun, pourront également être visités. Des grands événements comme le festival des lanternes, seront organisés dans le métavers en parallèle du festival réel afin que les visiteurs du monde entier puissent en profiter, selon un communiqué publié par la municipalité.

Est-ce encore du tourisme ?

Reste une question, cruciale : peut-on vraiment considérer une excursion dans le monde virtuel comme du tourisme ? Aussi immersive l’expérience soit-elle, n’est-elle pas plus proche du jeu vidéo ? Selon l’Organisation mondiale du tourisme, ce dernier est défini comme le fait de passer une nuit en dehors de chez soi. « Je pense qu’il va falloir réviser cette définition afin qu’elle désigne le simple fait de visiter quelque chose de différent, de voir autre chose, milite la directrice d’Advanced tourism. Quand on y pense, le workation (mêler travail et vacances grâce au télétravail NDLR) et le staycation (faire du tourisme en restant dormir chez soi NDLR) bousculent déjà la définition du tourisme. C’est le secteur tout entier qui est en train de muter. »

Les processeurs actuels sont de toute façon encore loin d’être assez puissants pour permettre, techniquement, la bonne marche d’un métavers rassemblant des centaines de personnes au même endroit. « Cela tombe bien, les gens non plus ne sont pas prêts à utiliser le Métavers, sourit Sophie Lacour. Les évolutions technologiques suivront l’évolution des habitudes ». Selon elle, on pourrait assister aux premiers métavers dans cinq ans environ. D’ici là, il va falloir, encore un peu, se contenter du monde réel.

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