« Le tourisme a transformé le voyage en produit », estime l’essayiste Rodolphe Christin

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L’essayiste et sociologue Rodolphe Christin, 51 ans, est l’un des invités du colloque « Le tourisme du futur », qui s’ouvre ce lundi après-midi à la Cité des congrès de Nantes. L’auteur du Manuel de l’antitourisme et de La Vraie vie est ici.Voyager, encore ? y expliquera pourquoi cette industrie ne peut repartir « comme avant » et la nécessité de se requestionner sur la notion profonde de voyage. Entretien.

Pourquoi estimez-vous qu’il est largement temps pour le tourisme de se réinventer ?

Depuis plusieurs décennies, le tourisme s’est inscrit dans une logique de croissance sans limite, qui n’est à mon sens absolument plus compatible avec les impératifs de transition écologique. On peut citer l’artificialisation des territoires, le gigantisme des
navires de croisière et ses effets sur la planète, tout comme les avions et les vols Paris-Lisbonne à 30 euros qui font que l’on part pour une offre, sans même savoir où l’on va…

La crise, qui a tout arrêté d’un coup, montre par ailleurs que c’est une économie très vulnérable. Elle aura aussi permis d’ouvrir la réflexion alors que jusqu’ici, on critiquait plus volontiers les usines, les industries polluantes, car le tourisme bénéficiait encore d’une forme de mystification qui laissait penser qu’il pouvait contribuer au dialogue entre les peuples…

C’est-à-dire ?

Je pense que l’idée que le tourisme était fortement vertueux, qu’il amenait de la richesse et permettait de mieux vivre s’est fissurée ces dernières années… Des masses de visiteurs ont débarqué, avec un surtourisme qui touche parfois des villes entières ! Les prix des loyers a augmenté, il y a parfois eu de la contestation de la part des populations locales qui ont dû s’éloigner à cause de la touristification de certains quartiers. Tout l’argumentaire de la rencontre est tombé à l’eau, car on ne trouve plus dans ces secteurs que des marchands, ou des habitants qui vivent pour le tourisme, dans des conditions pas toujours très rose.

A vous écouter, il faudrait arrêter de partir en vacances ?

Non mais je pense qu’il faut retrouver du sens dans nos déplacements, reréfléchir au « pourquoi on part », y trouver une dimension presque philosophique. Le tourisme est une économie de la compensation qui permet d’oublier ses conditions de vie quotidiennes peu stimulantes voire accablantes, donc posons-nous cette question : « qu’est-ce qu’on part chercher ailleurs que l’on pourrait trouver ici ? »

Les congés payés et le développement des loisirs a été une manière de manager les salariés, rendre le travail supportable, ce qui peut nous questionner sur nos conditions de travail, notre quotidien. On pourrait aussi réinterroger le rôle du parcours, qui pourrait être plus important que celui de la destination. Faire un cheminement qui se ferait depuis le pas de sa porte, des
voyages plus longs et/ou moins loin. Ce serait une sorte de relocalisation du voyage, que le tourisme a transformé en produit.

Le retour du train de nuit, l’essor du cyclotourisme, ou le succès de la « destination France » cet été ne sont-ils pas de premières bonnes pistes ?

Ça va dans le bon sens mais ces pratiques, qui ont aussi besoin d’aménagement et sont aussi soumises au marketing, s’ajoutent et ne se remplacent pas. Quant au succès du tourisme local, est-ce réellement une tendance ou est-ce le fruit des contraintes liées au virus ? Je ne suis pas là pour culpabiliser qui que ce soit, je pense que chacun doit agir en conformité avec ses propres idées, mais ce modèle ne va pas pouvoir perdurer très longtemps. La question est politique et il faut des réponses coordonnées. Le secteur est en tout cas à la croisée des chemins : certains ne souhaitent pas repartir comme avant, mais il est encore trop tôt pour savoir ce qu’il adviendra.

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