Inflation, grèves… « La destination France est descendue à la 7e place en cette fin d’année » (Lidl Voyages)

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LA TRIBUNE – On connaissait le réseau de hard discount alimentaire Lidl, mais moins son antenne dédiée au voyage : pourriez-vous nous présenter son positionnement en quelques mots ?

Mélanie Lemarchand – Nous sommes une agence généraliste 100% en ligne, qui ne dispose donc pas d’agences physiques mais d’un call center externalisé à Lyon, qui regroupe une vingtaine de personnes. Nous avons également un siège en région parisienne avec 9 collaborateurs.

Cinq ans après notre création, notre marché est aujourd’hui composé à 70% des clients Lidl, avec une communication qui repose beaucoup sur les prospectus de l’ensemble et notre site internet, ainsi que les offres liées à la carte de fidélité. Notre principale cible étant familiale, avec une moyenne d’âge de 49 ans, à laquelle nous proposions avant le Covid un panel de 100 destinations qui depuis, ont été réduites en raison notamment de la fermeture du marché asiatique.

La crise sanitaire, qui aura bousculé fortement l’industrie du voyage au cours des deux dernières années, se sera également traduite chez vous par le renforcement d’une offre plus locale ?

Durant la crise sanitaire, la destination France est passée de 30 à 70% de nos ventes, notamment sur les années 2020 et 2021, que ce soit à travers des offres en location ou en camping. La montagne, qui représente en moyenne 20% de nos ventes en hiver, et jusqu’à 40% lors des derniers étés, a très bien fonctionné durant la crise dès l’été 2020, car il était possible de partir pour moins de 200 euros la semaine en famille dans de grandes stations en plein milieu du mois de juillet et août.

L’hiver 2020/2021, les stations ont connu une saison blanche un peu particulière, mais où nous avons continué de proposer, en lien avec des stations comme la Plagne ou le Sybelles, des communications axées sur des offres permettant d’aller au ski sans ski. Et cela a plutôt bien fonctionné puisque nous avons réalisé jusqu’à 15% de notre chiffre d’affaires sur une saison dite « fermée », car les gens ont bien compris qu’ils pouvaient tout de même pratiquer des activités comme la raquette, le chien de traineau, etc.

Cet hiver, alors que le coup d’envoi de la saison vient d’être donné à l’échelle des quelques 350 stations de ski françaises, vous constatiez cependant une baisse des ventes de séjours sur la montagne, pour la première fois depuis la crise sanitaire ?

Oui et il faut replacer cela en premier lieu dans un contexte plus général, car sur la première semaine du 17 décembre, nous étions à -54% de réservations sur la destination France, qui a chuté fin novembre à la 7e place des destinations réservées. c
Cela nous a alerté, car la France était traditionnellement dans le Top 3 avant le Covid.

Aujourd’hui, du côté de la montagne, les nouvelles sont un peu plus rassurantes car le recul n’est plus que de -31% par rapport à l’an dernier, mais cela, alors que nos ventes globales augmentent en parallèle de +11%.

Cela s’explique par plusieurs facteurs : les problèmes d’énergie que l’on a rencontrés à l’automne, et qui laissaient planer des doutes sur l’ouverture des stations, mais également les effets de l’inflation et des prix des séjours, qui ont grimpé.

Nous constatons en effet en moyenne une augmentation des prix des séjours en France de +10 à 15% cet hiver par rapport à l’an dernier. Et cela, alors que les coûts de l’essence qui ont augmenté pèsent eux aussi sur la montagne, où l’on se rend souvent en voiture.

La montagne chute donc au sein de votre clientèle au profit d’autres destinations, et notamment étrangères ?
Oui c’est l’autre marqueur de cette fin de saison car contre toute attente, la France est toujours à la 7e place des destinations les plus réservées chez nous début 2023. Avec devant elle, la République Dominicaine, l’Espagne, l’Egypte, le Maroc, la Guadeloupe étal Tunisie, qui prennent clairement le pas, avec des offres vol et hébergement tout compris.

Pour autant, les Observatoires de l’industrie de la montagne (national et régional) pointent plutôt, quant à eux, une saison jugée presque équivalente pour l’heure par rapport à l’an dernier ? Vos observations sont-elles liées à la typologie de votre propre clientèle ?

Très clairement, notre clientèle est touchée par l’inflation alors qu’on observe que les stations de montagne restent en premier lieu tirées par le retour de la clientèle étrangère, qui leur avait manqué en 2020 et 2021.

De notre côté, nous voyons plutôt que les paniers moyens augmentent, mais ce n’est pas une augmentation issue des dépenses « plaisir » des clients, mais des prix eux-mêmes.

Depuis plusieurs mois, nous constatons des hausses constantes qui ont atteint, en cette fin d’année, +10 à 15% sur les séjours en France et +25% sur les vacances d’hiver à l’étranger. Et c’est une tendance qui devrait se poursuivre sur 2023.

La destination France, plus onéreuse, est-elle vouée par conséquent à perdre du terrain sur 2023, notamment au sein de votre offre ?

Ce ne sont pas nous qui fixons les tarifs, mais nous allons essayer de négocier avec les grands opérateurs avec lesquels nous travaillons (comme MMV, Maeva, etc) et de rogner aussi sur nos marges afin de proposer des prix à nos clients.

Nous continuerons d’avoir des offres sur la montagne, car il nous tient à cœur de soutenir cette destination. Avec par exemple, une opération avec l’Alpe d’Huez dès janvier prochain, où nous allons proposer des réductions de 30 à 40% en revenant sur nos propres marges (montant NC).

La réduction de l’empreinte carbone des déplacements (et notamment des voyages en avion) a également été au cœur des débats axés sur la transition énergétique : pour autant, les tendances que vous relevez démontrent encore une forme d’ambivalence à ce sujet ?

On a en effet beaucoup parlé de sobriété depuis septembre, et de voyages qui se veulent encore plus écoresponsables, avec le souhait affiché de prendre plutôt le train que l’avion ou la voiture.

Mais face aux problèmes de grèves et de trains annulés qui se succèdent, force est de constater que l’environnement global n’aide pas à voyager de manière plus écoresponsable. D’autant plus qu’en pleine période d’inflation, le client va désormais regarder en premier lieu au prix, au détriment de la question environnementale, qui peut coûter 30 à 40% plus cher si l’on veut voyager écoresponsable, lorsqu’on cible par exemple des circuits au Vietnam ou au Cambodge.

Nous réfléchissons nous-mêmes à la manière dont nous pourrions améliorer cet aspect, mais nous sommes également tributaires de l’ensemble des maillons dans la chaîne du voyage.

La tendance reste cependant axée vers les voyages en Europe (et donc moyens courriers), plutôt que les longs courriers ?

Oui nos offres sont aujourd’hui composées principalement de moyen-courriers, avec pour les vacances d’hiver, un peu plus de République dominicaine, Guadeloupe ou Martinique, alors que nous avions aussi, avant le Covid, beaucoup de circuits en Amérique du Nord, au Canada ou en Asie.

Nous nous notons une reprise des circuits en 2023, sur une durée un peu plus longue : les vacanciers partiront entre 9 et 11 nuits, contre 7 habituellement.

Pour conclure, la destination France s’affiche donc un peu chahutée sur votre segment de marché face à l’inflation, mais le retour du marché du voyage global semble, lui, se confirmer après deux années de pandémie ?

Oui car nous avons déjà nous-même rattrapé nos chiffres d’avant-covid, sur l’année de référence de 2019, et nous venons même tout juste de les dépasser fin 2022 (chiffre d’affaires non communiqué, ndlr).

Nous nous attendons à une nouvelle progression sur 2023, tirée par les moyens et longs courriers, qui présentent des offres accessibles et all-inclusives, avec des frais maitrisés ou des packages où il n’est pas nécessaire de réaliser des dépenses additionnelles sur place.

Car là où 2022 a été une excellente parce que les gens avaient besoin de voyager, et choisissaient donc leur destination, quitte à mettre un peu plus, je pense qu’à l’inverse, les prix vont conditionner les destinations en 2023. C’est d’ailleurs un phénomène que l’on avait déjà connu après la crise économique de 2008, l’année suivante.

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