Pour partager leurs observations du tourisme, les contributeurs de ce blog favorisent l’écriture comme moyen d’expression. Pour d’autres, ce sont les créations artistiques qui viennent transmettre des positions et des messages. C’est le cas de l’exposition « Prendre la tangente » organisée par le Maïf Social Club (Paris 3). En nous basant sur de nombreux échanges avec Jeanne Mercier, commissaire d’exposition, nous verrons comment les artistes s’approprient les enjeux du tourisme pour représenter les activités touristiques.
Isabelle Daëron, Fenêtre Ailleurs © Isabelle Daëron
Après deux ans de restrictions touristiques, le Maïf Social Club a souhaité prendre le contre-pied du contexte sanitaire pour permettre à chacun de redécouvrir les activités touristiques. Avec le regard de Jeanne Mercier (JM) – commissaire d’exposition spécialisée sur la question des représentations globalisées – l’exposition souhaite sensibiliser les visiteurs aux enjeux que la crise n’aurait pas transformé. En complément, la scénographie immersive d’Isabelle Daëron propose aux visiteurs de devenir voyageurs pour découvrir les rituels, les symboles et les imaginaires du tourisme.
Les symboles du voyage et leur rôle sur l’expérience touristique
(Le passeport) Plusieurs œuvres abordent les enjeux politiques liés aux voyages. Ainsi Lucie + Jorge Orta questionnent la libre circulation des voyageur et les enjeux climatiques des territoires antarctiques. Avec une référence ironique au tourisme de la dernière chance, ils composent un réseau communautaire et citoyen qui accepte un passeport antarctique engagé. Première étape de l’exclusion touristique, le passeport reste le symbole du droit de voyager, d’abord parce qu’il a un cout puis parce qu’il contraint le voyageur à accepter les jeux de pouvoirs nécessaires aux déplacements internationaux
(La carte) Dans la continuité du parcours touristique, après avoir validé les formalités administratives, la carte devient le deuxième symbole du voyage. Qu’elle soit bancaire, touristique ou capable d’ouvrir des portes d’hôtel, la carte permet de se repérer et d’accéder aux prestations touristiques. Le choix de Marco Godinho s’est porté sur la carte géographique représentative du monde nomade avec les thématiques de la distance et des frontières. La carte du monde se divise en 60 bandes verticales qui se déroulent – du nord au sud – doucement en fonction du temps, de la chaleur et de l’humidité. La dynamique lente de la carte qui se dévoile, symbolise l’apparition de certains territoires et l’aspect figé d’autres qu’il est impossible de déplacer.
Marco Godinho, Le Monde nomade #1 © Rémi Villaggi
(La valise) Lors du voyage, les objets rassurent et viennent accompagner tous nos déplacements. C’est la valise qui vient les rassembler en questionnant ce que l’on souhaite apporter et surtout rapporter. Pour la questionner, Kathleen Vance propose deux valises chinées qui viennent représenter des souvenirs de voyage. Dans la lignée des dioramas, ces paysages miniatures donnent l’illusion d’un espace animé où les visiteurs vont chercher des secrets cachés dans la valise « tout le monde est persuadé d’avoir vu quelque chose bouger. Le jeune public est persuadé d’y avoir vu des poissons. On y a même retrouvé des pièces à l’image des pratiques autour de la fontaine de Trévise » (JM). Les valises suscitent l’imaginaire et confortent le rôle qu’elles peuvent tenir dans l’appropriation de la destination.
Les représentations du voyage et leur impact sur l’expérience touristique
(La représentation) A travers une installation de vieux sièges TGV, la scénographie nous transporte en direction de l’œuvre de Laila Hida. Place Jemaa El Fna au cœur de Marrakech, l’artiste avait installé un pop-up studio où elle invitait les touristes à poser et à se photographier. Laila Hida se pose la question de la représentation et de l’imaginaire des destinations touristique : destination orientale, destination désert, destination dromadaire, destination exotique et orientalisante. La photographie devient une preuve du voyage et le selfie montre qu’on a le droit de questionner l’authenticité des voyages.
(L’accumulation) On part ensuite en bateau, avec hublots et sièges en direction de la cote. Après la destination exotique d’Arnakesh, place à la plage comme symbole d’un dépaysement relatif. L’artiste Laurent Perbos propose une œuvre très pop et dynamique en accumulant différents objets usuels de loisirs, pétrochimiques et polluants. L’œuvre est très visuelle et l’accumulation de ces objets tend vers l’abstraction et l’absurde de cette consommation symbolique des vacances estivales.
Inflatabowl #2 © Laurent Perbos
(L’uniformisation) Dans l’espace central, c’est au tour de Corinne Vionnet de partager ses photographies et sa vision de l’uniformisation touristique. Depuis 2005, l’artiste superpose les milliers de photos similaires prises sur des sites touristiques majeurs (Tour Eiffel, temple d’Angkor, Pyramide de Pizeh, etc.). Cette superposition apporte un mouvement, une accélération qui rend vivant la photographie. Deux regards : d’abord la critique de l’uniformisation des pratiques touristiques. De l’autre, l’accélération créée par l’accumulation montre la différence entre ces photographies. Le souvenir rapporté par ce support par le voyageur participe à l’appropriation de la destination.
(La globalisation) Partons à la rencontre d’Emo de Medeiros et son installation et sculpture vidéo présentée sous forme d’un casque vaudou. Béninois et Suisse, l’artiste propose une lecture du futur des vaudounotes qui nous emmène dans une temporalité ou passé, présent et futur sont imbriqués. Il réalise de faux objets et des faux objets souvenirs comme marqueurs de civilisations transculturels pour une vision d’un monde complétement futuriste, surréaliste et irréel. Il pose la question de la globalisation, de ce qu’elle peut créer, de cette question d’exotisme et de fusion des contextes culturelles, ethniques et historiques.
(La destitution) On traverse ensuite une porte pour découvrir le vitrail d’AKACORLEONE, Street artiste portugais « Il m’a dit Jeanne, moi j’habitais à Lisbonne je ne peux pas faire une œuvre positive sur le touriste au Portugal (JM). Face aux nouveaux opérateurs d’hébergements, la ville se transforme rapidement et les habitants se retrouvent destitués de leurs espaces de vie. La question du surtourisme et la transformation des usages des territoires pousse à se demander à qui appartiennent les villes ? L’artiste propose un vitrail qui représente un voyage intergalactique pop comics. D’un côté, une réalité du voyage intergalactique avec une terre qui se détériore, « un futur qui n’est plus si hypothétique » (JM). De l’autre, un voyage imaginaire, dans la tête, un réseau interconnecté mais immobile qui questionne le tourisme virtuel.
(L’identité) Puis, dernière étape avec le simulateur de vol de Mounir Ayache. Il propose des tableaux de bord comme un astrolabe gravé sous la forme d’arabesques orientales. On survole d’abord le Maroc et l’Algérie, puis dans une autre vidéo, il revient sur les pas de sa grand-mère en tant que super héroïne. Avec le parallèle de la construction des héros et des héroïnes, il questionne le rôle de l’individu dans la construction des identités et imaginaires des destinations.
Fin de la visite. Pour conclure et pour reprendre les termes de Jeanne Mercier, Prendre la tengante se compose en 10 escales avec 11 artistes à travers les artifices du voyage (passeport, valise, carte), à travers les rituels (selfie, albums, photographies), puis à travers la représentation des destinations. L’exposition propose une déconstruction des iconographies du voyage autour des notions de fuite, d’évasion, d’aventure ou d’exploration. Ce billet ne rassemble pas toutes les richesses de cette exposition. Pour les découvrir, seul le voyage sur place permettra d’en prendre connaissance jusqu’au samedi 23 juillet 2022.