Tourisme chinois : une “Golden Week” débordante, mais sans doute pas de voyage en Europe avant 2023

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Les images sont vertigineuses : des foules compactes et sans fin qui se pressent dans les principaux sites touristiques. Durant sa « semaine en or » de vacances du 1er mai, la Chine a fait figure de monde parallèle. À l’évidence, une grande partie des Chinois qui en ont les moyens brûlent de changer d’air, de s’évader. L’Europe du tourisme, parmi d’autres, attend avec impatience leur retour, à Paris ou à Rome. Mais la Chine osera-t-elle rouvrir pleinement ses frontières avant 2023 ? Rien n’est moins sûr.

265 millions de touristes chinois étaient attendus pendant les vacances de 5 jours à l’occasion du 1er mai, des chiffres jamais atteints depuis 2019. Les villes de Pékin, Shanghai et Canton ont été littéralement prises d’assaut. Les internautes ont partagé nombre de photos et vidéos montrant des sites touristiques submergés, malgré les mesures qui avaient été mises en place à l’appel des autorités pour gérer les flux.

La gare de Hangzhou, au sud de Shanghai, le 30 avril 2021. (Source : World Journal)

La gare de Hangzhou, au sud de Shanghai, le 30 avril 2021. (Source : World Journal)

La gare de Wuhan le 30 avril 2021. (Source : HKO1)

La gare de Wuhan le 30 avril 2021. (Source : HKO1)

Le ministère chinois du Tourisme a renvoyé la notice d’information dès le 2 mai au soir pour rappeler aux destinations touristiques leur responsabilité en matière de gestion des flux. Le ministère exige des dispositifs tels que la réservation à l’avance, les horaires décalés ou la limitation du nombre de personnes. Les musées, parcs d’attraction et tout autre lieu de promiscuité se sont vus rappelés de bien faire appliquer les mesures sanitaires, en encourageant les visiteurs à respecter les gestes barrières.

Au bord du Lac de l'Ouest à Hangzhou, le 1er mai 2021. (Source : HK01)

Au bord du Lac de l’Ouest à Hangzhou, le 1er mai 2021. (Source : HK01)

Certains sites comme la Tour de la Grue Jaune à Wuhan ont publié un communiqué dans l’après-midi du 2 mai invitant les gens à reprogrammer leur visite. Les entrées sur le site ont dû être interrompues car la jauge maximale était atteinte.

Près de Pékin, même tension à Badaling, la portion de la grande muraille la plus accessible depuis la capitale. Les autorités du site ont publié un message d’alerte dès le 1er mai à la mi-journée : la totalité des billets disponibles pour les 1er, 2 et 3 mai avait été vendus en ligne, soit près de 49 000 personnes. Ce qui représente 75 % de la jauge maximale autorisée avant la crise du Covid-19.

Sur la Grande muraille près de Pékin, durant la

Sur la Grande muraille près de Pékin, durant la “semaine en or” du 1er mai 2021. (Source : World Journal)

La vieille ville de Dali dans le Yunnan s’est également fendue d’une circulaire comparable dès le 1er mai. Elle avait déjà atteint 80 % de sa capacité maximale, qui est établie à 115 894 personnes par jour. Au-delà de ce seuil, les autorités sont tenues de déclarer une alerte et d’appeler les gens à reprogrammer leur visite en dehors des horaires de forte affluence, ainsi que d’éviter les lieux les plus fréquentés.

Les images avaient de quoi choquer en ces temps de distanciation physique imposée dans la majeure partie du monde hors de Chine. Nombreux sont les internautes chinois à avoir commenté ces images en se félicitant d’être tranquillement restés chez eux se reposer. D’autant que les salariés devaient récupérer de la semaine de 6 jours où ils avaient dû travailler en compensation des jours de vacances « accordés », selon un usage très courant dans le pays, à l’occasion de cette « semaine en or » du 1er mai.

« Boîte mystère »

D’après le site spécialisé sur l’industrie chinoise du tourisme, Guojialvye.com, les chiffres publiés par les autorités touristiques chinoises font état de 230 millions de voyageurs. Autrement dit, une augmentation de 17 % par rapport 2019, alors que les dépenses affichent un léger recul de -4 % par rapport à cette même année.

Cette bonne reprise s’explique par plusieurs facteurs selon Olivier Ponti, vice-president du département prévisions de ForwardKeys, cité par le site Jing Daily : la libération d’une demande de voyage refoulée, une bonne maîtrise de l’épidémie du Covid-19 dans le pays et un marketing innovant, avec notamment la généralisation des « Blind Box ». Ces « boîtes mystère » contiennent un billet d’avion aller-retour, voire une ou plusieurs nuits d’hôtels, dans une destination surprise. Elles sont intégralement remboursables si l’acheteur n’est pas satisfait de la « surprise » qui lui ai réservé.

Les agences de voyage se sont ainsi engouffrées dans l’attrait des jeunes générations pour la « gamification », cette approche ludique dans le marketing. Ces « Blind Box » suscitent la convoitise des consommateurs chinois à l’affut de la moindre occasion de jouer et de profiter d’une promotion, tout en écoulant les billets et nuitées des destinations les moins prisées. Selon le média en ligne Shine, ces boites mystère se sont écoulées à des prix dérisoires, Fliggy se vantant de les vendre aussi cher qu’un verre de Bubble Tea.

Au Temple de Confucius à Nankin, durant la

Au Temple de Confucius à Nankin, durant la “semaine en or” du 1er mai 2021. (Source : Chinese Herald)

Reprise non linéaire

Le marché touristique domestique est donc en plein boom, devenant un observatoire précieux pour identifier les nouvelles tendances à l’œuvre. Les destinations internationales ne devraient pas être en reste, notamment auprès d’une clientèle chinoise premium qui aspire à un autre niveau de prestation dans l’offre touristique. Dès que les frontières rouvriront, il y a fort à parier que les touristes chinois referont leur apparition sur le Vieux Continent. Mais pour le moment, la question même de l’ouverture des frontières est toujours suspendue, et cette suspension pourrait être amenée à durer.

À en croire le rapport sur le tourisme chinois publié fin mars par le cabinet de conseil McKinsey, une reprise du marché touristique s’annonce « non linéaire ». Ce rapport se fonde sur une enquête réalisée en janvier dernier auprès d’un échantillon représentatif de 1 600 personnes. Résultat : l’industrie touristique chinoise est au milieu d’une reprise non linéaire, ce qui signifie que des contretemps peuvent retarder le retour à des performances d’avant la pandémie dans certains sous-secteurs touristiques, quand d’autres afficheront des résultats insolents.

Les résultats de l’enquête conduisent les experts de McKinsey à estimer que les frontières chinoises devraient rester fermées aux touristes internationaux jusqu’en 2022 et que le marché touristique domestique devrait constituer le principal moteur de croissance de l’industrie touristique chinoise. Il est permis de douter des modalités d’accueil des visiteurs étrangers lors des Jeux Olympiques d’hiver de Pékin prévus du 4 au 20 février 2022, quand on voit à quel point la question est épineuse pour les JO de Tokyo cet été. Les autorités de Pékin vont même jusqu’à s’assurer que les journalistes accrédités par les médias officiels chinois limitent au maximum leurs contacts avec l’extérieur pendant leur séjour à Tokyo, et elles leur imposent de surcroît une quarantaine de plus d’un mois à leur retour en Chine.

Couverture vaccinale

Le désir de voyage des Chinois est pourtant bien là : 43 % des personnes interrogées ont hâte de pouvoir aller à l’étranger pour leurs vacances, mais ils continuent à considérer que les destinations internationales restent particulièrement risquées, que ce soit pour des voyages d’agrément ou d’affaires. La plupart d’entre eux jugent durement la gestion de l’épidémie par les autres pays et craignent les dangers d’une contamination au Covid-19 durant un voyage à l’international.

Compte tenu de la taille de sa population, 1,4 milliard d’habitants, la Chine risque de mettre du temps à atteindre une bonne couverture vaccinale. Sans parler des réserves émises à Pékin même, notamment le 10 avril dernier par Gao Fu, directeur du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies, sur l’efficacité des vaccins chinois actuellement en circulation. Ce qui fait dire aux experts de Mckinsey, avant même ces déclarations, qu’il faudrait attendre le troisième trimestre 2022 pour voir 60 % de la population vaccinée. S’ajoutent la question du nombre d’injections requises et la durée de validité du vaccin qui serait de l’ordre de six mois.

Avec une population aussi nombreuse, il est d’autant plus difficile d’éviter la résurgence de cas de Covid-19. En témoignent les difficultés rencontrées malgré le très rigoureux protocole de tests et d’isolement avant tout départ et à l’arrivée en Chine – 21 jours de quarantaine à Pékin et ailleurs, 14 jours de quarantaine dans des hôtels réquisitionnés, au frais des voyageurs. Ce protocole n’a jusqu’alors pas permis d’éviter totalement l’apparition d’une poignée de cas importés isolés – dernier exemple en date à Ruili dans la province frontalière du Yunnan début avril. Selon Mckinsey, l’immunité collective devrait être atteinte en Chine seulement au troisième trimestre 2022, soit un an après l’Europe et les États-Unis. Les restrictions de déplacement devraient donc d’abord s’assouplir en Occident avant la Chine. Les autorités chinoises sont susceptibles de privilégier une approche conservatrice de la gestion de l’épidémie : elles ne prendront pas le risque de rouvrir complètement les frontières avant fin 2022.

Raison supplémentaire qui plaide en ce sens : le rendez-vous politique majeur de la période, le XXème Congrès du Parti communiste chinois, censé consacrer l’accession de Xi Jinping à un troisième mandat marquant de fait la fin des règles de gouvernance collective mises en place par Deng Xiaoping à la mort de Mao pour se prémunir contre les risques d’une personnalisation excessive du pouvoir. Ce congrès décisif est justement prévu à l’automne 2022. Il serait étonnant que les autorités prennent le moindre risque pendant cette période hautement sensible.

Dans ce contexte, le concept de bulle de voyage devrait être privilégié pour répondre aux aspirations de la population. Ces bulles permettent une meilleure maîtrise de l’ensemble de la chaîne touristique et peuvent être suspendues dès l’apparition du premier cas de Covid-19. Elles concernent des destinations qui peuvent se targuer, au même titre que la Chine, d’être « Covid-free ».

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