L’un des premiers défis de la durabilité dans le tourisme réside dans la responsabilité budgétaire. De la plus grande à la plus petite échelle, le modèle touristique durable rencontre des brèches dans son implémentation, son développement et son application : il faut savoir générer un muscle financier suffisant pour garantir le contrôle et la sécurité, jusqu’à la conservation, en passant par l’entretien et la gestion du territoire. Mais alors que les budgets sont déjà restreints au lendemain de la pandémie, d’où pourrait provenir ce financement pour financer la durabilité ? Nous nous intéressons aujourd’hui à ce défi pour le secteur, entre transfert de responsabilité et modèle équitable.
Le dilemme entre récupération et transition
Après deux des années les plus difficiles de l’histoire du secteur touristique, on se retrouve face à une dualité de la réalité : d’un côté la reprise économique du secteur pour ne pas le laisser mourir et de l’autre le saut qualitatif en termes de durabilité pour faire face aux enjeux socio-environnementaux auxquels nous sommes confrontés. Pour les entreprises les plus touchées, il est donc difficile d’imaginer que les investissements dans des pratiques « vertes » figureront en bonne place dans leur programme. La même réflexion pourrait également s’appliquer au cas des autorités locales et des voyageurs, qui ont respectivement souffert à leur échelle de cette crise mondiale.
Chacun met son grain de sable
Le fondateur d’Occidental Hotels, Adolfo Favieres, a déclaré lors du dernier sommet du World Travel & Tourism Council (WTTC) : « Certes, les clients vont exiger une destination durable, mais cela va inévitablement être plus cher. La question à un million est alors de savoir qui doit payer pour la durabilité« . Une déclaration qui illustre parfaitement cette tendance de transfert de responsabilité à la roulette russe. La durabilité a en effet un coût, mais outre cette vision linéaire de payant-payé, c’est avant tout une démarche collective qui fonctionne en synergie, entre toutes les parties prenantes, impliquant des investissements non exclusivement financiers.
Coût du changement et coût de la transition pour le secteur privé
Chaque secteur dans la famille du tourisme a ses propres délais selon ses charges techniques, mais également selon les innovations technologiques disponibles. Les coûts de transition d’une compagnie aérienne ne sont pas les mêmes que ceux d’une agence de voyage par exemple. Mais la manière d’évoluer du marché reste la même, et si ce n’est pas pour maintenant, il faudra bien le faire à un moment donné pour ne pas louper le coche.
Alors, outre le coût de la transition comme frein, c’est avant tout le coût du changement qui pèse sur certains acteurs du secteur privé. Ce dernier n’est pas seulement monétaire, mais représente également des coûts psychologiques et de ressources, en termes d’efforts et de temps.
Le coût de l’implication pour le client
De l’autre côté du marché, on retrouve quelques pratiques dont la facturation au client. Cela consiste par exemple à augmenter le prix de la prestation pour l’impliquer dans la cotisation aux charges de l’adhésion à un label ou à la certification d’une norme, mais aussi à la refonte de l’infrastructure.
Malgré une certaine résistance d’une partie de la clientèle qui estime que voyager plus durable « coûte trop cher », il est nécessaire de générer un marché touristique responsable. C’est-à-dire qui consomme des produits locaux, paie des prix justes et génère des coûts moindres en raison de pressions environnementales ou sociales. Un coût d’implication pour le client qui se justifie au travers des valeurs et des engagements respectés par les structures à qui il accorde sa confiance.
Mais avant tout une histoire de vision pour les autorités locales
La durabilité n’est pas sujette à un modèle de mondialisation qui peut être réplicable à chaque territoire. La production d’énergie, la gestion des ressources, les modèles économiques, la capacité de conservation, etc. Des enjeux qui représentent une gestion et une application propre à chaque écosystème à échelle environnementale, ainsi qu’à chaque spécificité culturelle et sociale à échelle sociétale.
Une base technologique et un modèle basé sur le développement durable à échelle locale est nécessaire à la bonne mise en œuvre d’une activité touristique saine, voir régénératrice. On parle alors d’un tourisme qui génère des bénéfices équitables, contribuant au bien-être territorial et investissant à la conservation de ce qui attire tant les touristes, ainsi qu’au contrôle de sa bonne utilisation et de sa protection. Une intégration de la durabilité dans les ressources naturelles et culturelles comme bien commun, qui améliorerait par conséquent la démarche des secteurs privés (déjà propulsée par les aides et les fonds qui fleurissent de jour en jour) et des visiteurs.
Mieux taxer pour mieux durer
La durabilité est ainsi une histoire de territoire, d’une vision globale sur le monde vers une application locale adaptée. Des plus hautes institutions aux plus petites autorités locales, c’est un système à entonnoir qui procurerait une coordination harmonieuse et équitable. Dès 2020, ces dernières se sont penchées sur le financement d’un avenir régénérateur, en posant la question de la création d’un système de taxe touristique bien conçu, comme partie intégrante d’une solution.
Le groupe NAO et le Global Destination Sustainability Movement ont publié à cet égard le Tourism Taxes by Design. Un livre blanc qui expose la planification des taxes touristiques pour le soutien de la reprise sectorielle, et du développement d’une économie touristique plus résiliente et régénératrice. À cet effet, il présente sept critères pour la conception des taxes touristiques et sept façons de les faire fonctionner (génération de recettes, régulation des flux, réduction, rechargement, reconsidération, régénération, résilience).
Les études parues en collaboration avec l’Association européenne du tourisme (ETOA) exposent que “les impacts négatifs perçus sur la demande et la compétitivité sont plutôt marginaux. En outre, les consommateurs sont plus enclins à payer des impôts s’il y a un réinvestissement transparent des recettes fiscales à des « bonnes fins » (durabilité, communauté locale, préservation culturelle et naturelle).”
Dans l’ensemble, le livre blanc avance que des taxes touristiques, planifiées comme outils de fiscalité régénératrice, peuvent être pratiques pour la gestion durable des ressources des destinations, mais peuvent également être un élément précieux dans la guérison du secteur.
Nous terminons cette réflexion sur les mots de Maribel Rodríguez, vice-présidente du WTTC : « Ceux qui n’investissent pas aujourd’hui seront les perdants de demain. Et ceux qui le font auront un meilleur retour sur cet investissement« . La clé réside dans la vision, celle de voir la durabilité comme un investissement rentable, autant au niveau économique, humain et environnemental. Un financement transparent élaboré dans un cadre collectif et équitable, mais surtout régénérateur.
Consultante nomade à la rencontre des acteurs du tourisme durable de demain, Tiffany Flour pointe et interroge les innovations à impact positif. Au travers de ses expériences et ses projets, elle met en lumière la place des formes de tourisme alternatifs dans l’industrie.
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