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Le décryptage de Josette Sicsic (Futuroscopie)
A lâheure oĂč les UniversitĂ©s du tourisme durable dont câĂ©tait la huitiĂšme Ă©dition, se terminent Ă Montpellier, la transition touristique est sur toutes les lĂšvres. Oui, il est grand temps de changer de modĂšle. Oui, il faut faire vite. Oui, il faut faire bien et pour cela collaborer. Mais, en mĂȘme temps, la thĂ©matique de cette annĂ©e, Ă©tait claire : le tourisme durable, pour exister, doit affronter ses paradoxes. Et ceux-ci ne manquent pas. Ni au niveau national, ni au niveau international⊠oĂč nous nageons, une fois de plus, en pleine « absurdie ». Tour dâhorizon.
Les UniversitĂ©s du tourisme durable Ă Montpellier qui ont rĂ©uni 500 personnes (un succĂšs) ont elles apportĂ© leur contribution Ă lâintelligence touristique collective – Depositphotos Auteur malpetr
⊠Que se passe-t-il ? Tout dâabord, Bruno Latour, lâauteur dâune pensĂ©e Ă©cologique originale, vient de dĂ©cĂ©der brutalement et nous tenons Ă lui rendre hommage.
Ses interventions dans le champ de lâĂ©cologie politique portaient bien sur les liens entre catastrophes humaines et dĂ©rĂšglement climatique. Plus visionnaire encore, le philosophe avait rĂ©vĂ©lĂ© une lutte entre « classes gĂ©o-sociales » et insistĂ© sur le fait que : « Le capitalisme a creusĂ© sa propre tombe et quâil s’agit dĂ©sormais de le rĂ©parer. »
ParallĂšlement Ă cette triste actualitĂ©, nous ne pouvons passer sous silence une autre actualitĂ© qui, sâil sâĂ©tait agi dâune simple sĂ©quence de science-fiction, aurait pu nous amuser. Sauf que non. La sĂ©quence en question porte sur lâorganisation de Jeux Olympiques asiatiques dâhiver en Arabie Saoudite.
Un Ă©tat prĂ©sentant comme le Qatar, deux dĂ©fauts inacceptables : un, câest un Ă©tat autoritaire et qui le dĂ©montre assez rĂ©guliĂšrement, malgrĂ© quelques Ă©crans dâune fumĂ©e faussement dĂ©mocratique. Deux, ce pays est un dĂ©sert sur lequel il ne tombe jamais le moindre flocon !
Ce qui revient Ă dire que les « intelligences » de notre monde sont prĂȘtes Ă accepter que les caprices dâun sultan mĂ©galomane lui permettent de dĂ©verser dans lâair des millions de tonnes de CO2 pour fracturer la montagne, tracer des pistes, multiplier des constructions, bombarder de la neige et de la glace artificielle, exploiter la misĂšre de milliers dâouvriers dont on peut redouter quâils ne soient pas mieux payĂ©s et traitĂ©s que par les QatarisâŠ
Une fois de plus, nous Ă©voluons en pleine hypocrisie, contradictions, incohĂ©rence et lâon se demande Ă quoi peuvent servir des COP et autres raouts internationaux prĂ©conisant Ă lâhumanitĂ© des comportements vertueux ?
Les universités du tourisme durable font le plein
⊠Car des rĂ©unions, des colloques, des rencontres, des congrĂšs⊠il nây en a jamais eu autant, cherchant tous assidument Ă rĂ©parer un monde sur lequel canicules, ouragans, montĂ©es du niveau de la mer sont la consĂ©quence directe dâagissements dĂ©lictueux voire criminels ou tout simplement irrĂ©flĂ©chis.
Ainsi, les UniversitĂ©s du tourisme durable Ă Montpellier qui ont rĂ©uni 500 personnes (un succĂšs) ont elles apportĂ© leur contribution Ă lâintelligence touristique collective.
AprĂšs des discours dâusage particuliĂšrement offensifs de la part des Ă©lus de la rĂ©gion Occitanie qui accueillait lâĂ©vĂ©nement et celui de la prĂ©sidente dâATD, Caroline Mignon, tĂ©moignant de lâurgence dâagir : « tout sâaccĂ©lĂšre, le mur est lĂ et il est Ă craindre que cela continue » ou « il faut arrĂȘter avec les demi mesures » et « aller vers des mesures radicales », la nĂ©cessitĂ© de clarifier les contradictions du secteur du tourisme a longuement Ă©tĂ© Ă©voquĂ©e.
Sous diffĂ©rentes formes : tables rondes, ateliers, sĂ©ances plĂ©niĂšres permettant de passer de la thĂ©orie Ă la phase concrĂšte, celle de mise en Ćuvre dâactions efficaces.
Ainsi, pour la thĂ©orie, le tĂ©moignage de jeunes diplĂŽmĂ©s ayant rompu avec le futur pour lequel ils Ă©taient programmĂ©s, a mis en valeur la prise de conscience des jeunes par rapport Ă lâurgence environnementale et confirmĂ© quâune partie des gĂ©nĂ©rations Y et Z Ă©taient prĂȘtes Ă changer ses façons de voyager : vĂ©lo, lenteur, un peu dâactivitĂ© champĂȘtre comme le Whoofing⊠les solutions proposĂ©es par ces jeunes nâĂ©taient pas Ă priori innovantes, mais les intentions Ă©taient sincĂšres et encourageantes.
Autres interventions intĂ©ressantes, celles dâun neuroscientifique qui, Ă sa façon, a dĂ©veloppĂ© Ă peu prĂšs la mĂȘme thĂ©orie que celle dĂ©veloppĂ©e dans notre article : « Le touriste est-il psychopathe ? ».
Selon Thibaud Griessinger, chercheur en sciences cognitives et sociales appliquĂ©es aux enjeux de transition : la rĂ©sistance au changement fait partie des comportements humains les plus partagĂ©s. Pour de multiples raisons psychologiques, sociologiques, bref anthropologiques, il est Ă©vident, selon lui, quâil ne sera pas facile de convaincre un public divers, segmentĂ©, multiple, dâavoir un comportement vertueux. Dâautant quâil faudra affronter sa complexitĂ© en lui offrant un discours cohĂ©rent.
Mieux, « il faudra organiser la cohĂ©rence » a insistĂ© le chercheur, « et en finir avec les injonctions contradictoires, tout en anticipant lâavenir ». Lesquelles contribuent Ă crĂ©er cette fameuse dissonance cognitive.
Quant aux reprĂ©sentants de lâAdeme, ils Ă©taient Ă©galement lĂ pour souligner leur volontĂ© dâĂȘtre prĂ©sents aux cĂŽtĂ©s des acteurs du tourisme pour former, Ă©duquer, accompagner les projets allant dans le bon sens. ( Ă Ă©couter prochainement sur podcasts dont nous vous donnerons le lien).
MobilitĂ©s, pĂ©nurie dâeau, tourisme de masse
Aujourdâhui, lâavenir radieux nâest pas au rendez-vous et lâimagerie quâil convient de dĂ©velopper se situe aux antipodes des diktats dâhier – CrĂ©dit “h Leclair – Aspheries
Mais câest probablement dans les ateliers que se sont exprimĂ©es et rĂ©vĂ©lĂ©es la responsabilitĂ© et lâĂ©nergie des nouvelles gĂ©nĂ©rations de professionnels qui ont compris le message (sont parfois nĂ©s avec) et sont prĂȘts Ă mettre leurs compĂ©tences et crĂ©ativitĂ© dans la lutte pour un tourisme durable.
En effet, alors quâil y a quelques annĂ©es encore, lâheure Ă©tait aux discours et aux dĂ©clarations dâintention, il est clair que lâon est entrĂ©s dans une autre Ă©poque et passĂ©s Ă la vitesse supĂ©rieure. Lâurgence rĂ©vĂ©lĂ©e par les crises que nous traversons, ne peut plus attendre.
La planĂšte non plus. Le tourisme, secteur fragile et ambigu par excellence, encore moins. Ainsi, alors que lâon a remis sur la table le problĂšme du tourisme de masse et de sa compatibilitĂ© avec la durabilitĂ©, celui des clientĂšles : proximitĂ© ou lointaines, celui de la pĂ©nurie Ă venir dâeau, celui de la nĂ©cessitĂ© de faire de la prospective pour mieux gĂ©rer les crises, lâun des ateliers concernait le chapitre de la mobilitĂ©.
ProblĂ©matique majeure du dĂ©veloppement durable, la mobilitĂ© a cependant affichĂ© ses freins : lourdeurs administratives, manque de budget, lenteur des prises de dĂ©cision, multiplication des acteurs (territoires, rails, fluvial, maritime, aĂ©rienâŠ) et permit de confirmer la nĂ©cessitĂ© de ne plus perdre de temps en palabres.
« Reconditionner les imaginaires »
Il est enfin et surtout un sujet (de longue haleine certes), sur lequel les destinations touristiques peuvent intervenir, câest celui concernant la rĂ©invention du rĂ©cit touristique.
De quoi sâagit-il ?
Depuis lâaprĂšs-guerre, le modĂšle dominant de lâimagerie touristique vĂ©hiculait des valeurs liĂ©es Ă la dĂ©tente, la libertĂ©, lâactivitĂ© physique⊠le tout, plutĂŽt en bord de mer en Ă©tĂ©. CâĂ©tait lâĂ©poque triomphante du « sea sun and sex » incarnĂ© par un Club MĂ©diterranĂ©e tout puissant.
Autre rĂ©fĂ©rence collective majeure : les glisses de plus en plus sophistiquĂ©es pratiquĂ©es par des jeunes au teint exagĂ©rĂ©ment halĂ©. La montagne, rendez-vous dâune Ă©lite Ă©conomiquement favorisĂ©e, pulvĂ©risait les records de popularitĂ©.
On rĂȘvait de ses pistes et de son brio. De son cĂŽtĂ©, la voiture conduisant le vacancier et le touriste sur des routes de plus en plus rapides, dĂ©tenait les clĂ©s des escapades en toute libertĂ©.
Tandis que lâaĂ©roport, de plus en plus vaste et animĂ©, offrant des centaines de dĂ©collages et atterrissages vers des contrĂ©es lointaines, incarnait la toute-puissance de la machine touristique et la croyance dans un progrĂšs technologique linĂ©aire. Toujours plus loin, toujours plus vite, toujours plus nombreux. De toutes façons, rappelons-le, lâOMT estimait Ă 5% les progressions annuelles du secteur.
Or, aujourdâhui, lâavenir radieux nâest pas au rendez-vous et lâimagerie quâil convient de dĂ©velopper se situe aux antipodes des diktats dâhier. Ce nâest plus le voyage aux Maldives quâil convient de rendre dĂ©sirable, ni celui en PolynĂ©sie au bout dâun vol interminable.
Ce nâest pas non plus, si lâon veut ĂȘtre cohĂ©rent, le moment de sâextasier sur les tours, les hĂŽtels 7 Ă©toiles et les parcs Ă thĂšmes des Ămirats Arabes Unis. « Les imaginaires touristiques doivent ĂȘtre reconfigurĂ©s », a prĂ©cisĂ© le directeur du CRTL Occitanie, Jean Pinard, Ă travers un rĂ©cit conforme aux nouvelles exigences dâune planĂšte au bord de lâasphyxie qui devra vivre avec ses excĂšs.
Selon moi, ce message est majeur. Pour changer de monde, il convient de changer de logiciel de communication, tant pour les destinations touristiques que pour lâensemble des professionnels. Le message a Ă©tĂ© entendu. Dâores et dĂ©jĂ , des dizaines dâexemples dĂ©montrent lâinversion des paradigmes. Mais, il faut aller plus loin⊠Comment ? Sur ce sujet aussi, nous reviendrons.
Non sans une derniÚre information : ATD et Atout France ont annoncé un partenariat visant à concevoir le premier Tableau de bord national du tourisme durable.
Un outil de pilotage strateÌgique permettant de structurer de nouveaux indicateurs aÌ la fois sociaux, environnementaux et socieÌtaux, en pleine coheÌrence avec lâambition du plan Destination France.
Mais, de grĂące, cessons dâannoncer que la France vise Ă devenir la premiĂšre destination durable du monde⊠Alors quâelle en est si loin et quâelle est partie si tard, voire trop tard !
Josette Sicsic – DR
Journaliste, consultante, confĂ©renciĂšre, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin dâen analyser les consĂ©quences sur le secteur du tourisme.
AprĂšs avoir dĂ©veloppĂ© pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de lâactualitĂ© oĂč elle dĂ©code le prĂ©sent pour prĂ©voir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.
Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com
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