Depuis le 8 janvier, les Chinois sont à nouveau autorisés à voyager à l’étranger. Pékin l’a annoncé le 26 décembre et, dans les jours qui ont suivi, Qunar, l’une des principales agences de tourisme chinoises, a enregistré une augmentation d’environ 850% de particuliers à la recherche de vols internationaux, ce qui dénote manifestement un réel désir de voyager.
Mais ces recherches ne se sont pas concrétisées par autant de confirmations d’achats. Autour du 21 janvier, pendant la dizaine de jours de congés qui inauguraient la nouvelle année lunaire sous le signe du lapin, c’est en Chine que les Chinois ont principalement et massivement voyagé. L’objectif de nombreux citadins était d’aller dans leur province d’origine afin d’y retrouver des parents plus ou moins proches.
Contrairement à ce que beaucoup attendaient –ou redoutaient–, il n’y a donc pas eu de rush de touristes chinois vers l’Occident. Naguère, nombreux étaient ceux qui passaient les jours de vacances du Nouvel An dans des pays d’Asie. Mais cette année, ils ont été très diversement accueillis. La Thaïlande est sans doute le pays qui a le plus tenté de renouer avec le tourisme de Chine.
En 2019, 11 des 20 millions de touristes étaient chinois. Et cette année, les journaux de Pékin ont noté que le 9 janvier, le vice-Premier ministre et le ministre de la Santé thaïlandais ont accueilli des touristes chinois à l’aéroport de Bangkok auxquels ils ont remis des fleurs et des sacs-cadeaux, sous un panneau de bienvenue où était inscrit «Trois ans déjà, cela fait trois ans que nous vous attendions». 300.000 visiteurs chinois sont espérés au cours des trois premiers mois de l’année 2023 en Thaïlande et aucune attestation de vaccination ne leur est demandée.
D’autres pays, comme Singapour en Asie ou, en Europe, la Norvège et l’Autriche, ont fait savoir qu’ils étaient disposés à recevoir des visiteurs chinois. Mais ceux-ci n’ont que modérément répondu à cette invitation.
Ailleurs, la méfiance est de mise
Dans de nombreux autres pays, c’est surtout la méfiance à l’égard de Chinois potentiellement contaminés par le Covid qui domine. En Malaisie, tout voyageur qui vient de Chine doit se soumettre à un contrôle de température. Le Maroc semble avoir la réglementation la plus stricte: la venue sur son sol de voyageurs en provenance de Chine y est interdite. Au Japon et en Corée du Sud, les avions ne sont autorisés que dans quelques aéroports, et les passagers doivent être munis de tests Covid négatifs. Cette obligation rejoint les réglementations mises en place en France, mais aussi au Royaume-Uni, en Italie, au Canada, aux États-Unis ou en Australie.
En France, tout passager âgé de plus de 11 ans d’un avion qui vient de Chine doit présenter à l’embarquement un test de détection du virus négatif de moins de quarante-huit heures. Malgré cela, à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, des contrôles sanitaires aléatoires sont pratiqués et il arrive que certains soient positifs. Ce qui, dans l’immédiat, limite les intentions françaises de réouverture au tourisme chinois. Il était prévu que ces contrôles prendraient fin le 31 janvier; ils ont été prolongés jusqu’au 15 février.
En tout cas, le tourisme chinois est loin d’avoir retrouvé son ampleur d’antan. Il s’est développé au début des années 2000 où près de 10 millions de Chinois ont commencé à voyager de par le monde. En 2019, ils étaient 150 millions. Et parmi ceux qui sont venus en Europe, 2,2 millions ont visité la France. Les retombées de leurs voyages étaient estimées chaque année aux alentours de 3,5 milliards d’euros, soit 7% des recettes touristiques de la France. Mais ces voyages internationaux ont pratiquement cessé en 2020 lorsque la Chine s’est fermée pour cause de pandémie.
«Il y a actuellement une habitude de ne pas voyager»
Aussi, les observateurs attentifs du tourisme chinois s’attachent à décrypter les évolutions en cours. Sébastien Lion, vice-président de l’Institut français du développement touristique, publie sur LinkedIn une newsletter hebdomadaire sur le tourisme chinois. Il estime qu’«il y a actuellement en Chine une habitude de ne pas voyager. C’est ce qu’il faut réapprendre. Et pour ça, commencer par le national. D’autant plus que de nombreux Chinois qui pourraient voyager dans le monde attendent dans un premier temps de voir comment les possibilités de se déplacer vont évoluer.»
Ceux qui, à l’occasion du Nouvel An, sont allés à l’étranger, l’ont souvent fait pour rendre visite à des membres de leur famille qui y sont installés et qu’ils n’ont pas vus depuis trois ans. Ces déplacements ne sont évidemment pas comparables à ce qui se produisait avant 2020. Une raison de cette diminution des séjours à l’étranger est peut-être que beaucoup de passeports de Chinois ne sont plus valides.
En 2019, environ 140 millions possédaient un document de voyage à jour, soit 10% de la population chinoise (en comparaison, aux États-Unis, le chiffre est de 40% et en Grande-Bretagne de 76%). Mais en Chine, il semblerait que beaucoup de passeports se soient périmés pendant les trois ans où leurs titulaires ne pouvaient pas voyager. Il est donc possible que, pour le Nouvel An, des candidats chinois aux voyages n’aient pas quitté le pays faute de pouvoir présenter de passeport valide.
Une lente reprise du trafic aérien
La diminution des voyages internationaux des Chinois amène les compagnies aériennes occidentales à ne pas se précipiter pour rétablir les vols supprimés entre la Chine et l’Europe ou les États-Unis. Avant la crise sanitaire, il y avait notamment, partant de Chine ou y allant, jusqu’à trente-deux vols Air France par semaine. Depuis 2020, la compagnie n’assure plus que 5% de ce trafic. Elle dessert Tianjin, dont l’aéroport est proche de Pékin, une fois par semaine. L’équipage ne descend pas et l’avion continue vers Séoul.
Autres destinations: Shanghai, deux fois par semaine, et Hong Kong, trois fois (à partir du 3 février, un troisième vol pour Shanghai est prévu). Et Air France a annoncé qu’à partir du 1er juillet, un vol quotidien sera proposé vers chacune de ces trois villes chinoises. Rien n’est indiqué en revanche à propos des vols Paris-Canton ou Paris-Wuhan, qui ont été interrompus il y a trois ans.
À Pékin, un nouvel et vaste aéroport a été inauguré en septembre 2019 par Xi Jinping. Il n’est guère entré en service alors qu’il était destiné à accueillir toujours plus de visiteurs étrangers en même temps qu’à permettre à plus de Chinois de s’envoler vers toutes sortes de pays. Mais, en ce début d’année 2023, la remontée en puissance du tourisme international chinois s’annonce apparemment progressive.
Pour l’instant, le ralentissement de l’activité du pays inquiète les Chinois et le gouvernement cherche à rétablir la voie vers la croissance. Et une question se pose: quelle catégorie de la population chinoise va recommencer à voyager?
Maintenir le lien pendant la pandémie
Dans les dix années qui ont précédé 2019, une évolution s’est nettement produite. La proportion des voyages en groupe, surtout appréciés des seniors, a fortement diminué. En Île-de-France, en 2018, elle ne représentait plus que 10% des touristes venus de Chine, tandis que 54% des visiteurs avaient autour de 35 ans. Cette clientèle est hyperconnectée, prépare ses voyages sur internet et après des échanges sur des réseaux sociaux tels que WeChat ou Weibo, organise ses séjours sur le mode individuel ou en famille.
Pour cette clientèle chinoise, la France, généralement qualifiée de «pays romantique», a constamment été en tête des pays européens à visiter. Certes, en 2017, à Gonesse dans le Val-d’Oise, non loin de l’aéroport de Roissy, des malfaiteurs ont dévalisé un groupe de Chinois devant leur hôtel et cela a fait grand bruit dans les médias de Pékin. Mais Paris comporte des visites incontournables, telles que la tour Eiffel ou l’Arc de triomphe; également le Louvre ou Versailles, deux bâtiments où, en 2020, des équipes de télévision chinoises en poste à Paris ont réalisé des programmes de visites filmées. Ils ont été beaucoup regardés sur le net chinois par ceux qui ne pouvaient plus quitter leur pays.
Toutes sortes de destinations touristiques ont alors commencé à être diffusées, avec notamment des visites approfondies de musées où le directeur ne manquait pas d’être interviewé. L’objectif étant à travers le streaming de maintenir le lien entre les touristes potentiels et des lieux lointains à visiter. D’ailleurs, la plupart du temps, l’accès au programme était accompagné de l’achat de billets à utiliser d’ici à 2025. La plateforme chinoise Alibaba semble avoir eu un vrai succès avec de telles propositions, souvent couplées avec des possibilités d’achat de dentifrice ou de rouge à lèvres, dans une parfaite logique d’e-commerce. Bien d’autres musées comme le British Museum se sont livrés à des démarches similaires qui leur ont permis de maintenir un contact avec le public chinois.
Mais d’autres sites en France avaient les faveurs des Chinois. En région, Chambord a établi en 2015 un jumelage avec le Palais d’été, près de Pékin. Depuis, des touristes chinois descendaient régulièrement de leurs cars pour se faire photographier devant le château –mais souvent sans y entrer. D’autres endroits ont été particulièrement prisés, tels que le Mont-Saint-Michel ou la promenade des Anglais à Nice. Les champs de lavandes en Provence, principalement sur le plateau de Valensole, sont aussi très appréciés depuis qu’en 2014 une série télévisée chinoise y a été tournée et a été regardée quotidiennement par environ 200 millions de téléspectateurs. Jusqu’en 2019, les exploitants de ces surfaces agricoles faisaient visiter leurs exploitations à ces visiteurs et leur vendaient des produits dérivés avec l’aide des guides chinois qu’ils avaient embauchés.
La question est désormais pour le monde du tourisme –notamment français– de savoir quand les touristes chinois vont à nouveau parcourir la planète. Sébastien Lion envisage une réponse: «Mon pronostic, c’est qu’au plus tard, les touristes chinois reviendront à l’été 2024, pour les Jeux olympiques en France. La question est de savoir combien voyageront avant cela. Quel sera le pourcentage par rapport à 2019?» Cette année-là, le tourisme chinois représentait 15% du chiffre d’affaires du secteur sur la planète, soit 250 milliards de dollars. L’influence des Chinois sur le tourisme international allait grandissante. Elle peut reprendre si, dans les années qui viennent, les Chinois intensifient le rythme de leurs séjours hors de Chine.