Publié à 9h00
Cette année, mon séjour à Saint-Pétersbourg coïncide avec « les nuits blanches », quelques semaines autour du solstice d’été. Pour cette ville située au 60e parallèle, la joie de la lumière du jour continue est censée compenser les mois d’hiver moroses et sombres.
Cet été, les rues et les quais sont animés comme d’habitude. Des couples, jeunes et moins jeunes, se promènent le long de la Neva, des autocars déversent des foules munies de téléphones intelligents devant le fameux monument Cavalier de bronze à la mémoire de Pierre le Grand, et les rivières et canaux de cette ville, parfois surnommée « la Venise du Nord », sont bondés de bateaux-mouches. Tout cela se passe… au milieu de la nuit. Pas étonnant qu’un collègue américain ait intitulé son livre portant sur Saint-Pétersbourg Sunlight at Midnight.
Cet été, tout semble pareil, mais je n’entends plus de langues différentes dans la foule lors de ces promenades nocturnes. Maintenant, c’est presque exclusivement du russe. Les Européens et Nord-Américains ont pratiquement disparu depuis que les voyages aériens en provenance des pays occidentaux sont au point mort en raison des sanctions et contre-sanctions imposées à la suite des hostilités en Ukraine.
Les Chinois, qui avaient l’habitude d’affluer dans la ville en grands groupes, sont retenus dans leur pays à cause de la pandémie. Ce sont les citoyens des pays arabes, de l’Iran et de l’Inde, qui ont tous maintenu des liaisons aériennes avec la Russie, qui constituent le gros des touristes provenant de l’extérieur de l’ancienne Union soviétique.
Mais les étrangers représentent cette année moins de 4 % du nombre total de touristes, contre 47 % avant la pandémie.
En l’absence de reconnaissance mutuelle des vaccins contre la COVID-19, le trafic touristique avec les pays occidentaux avait déjà diminué. En même temps a augmenté le nombre de touristes venant de l’intérieur de la Russie, avec une population importante et qui a une tradition de voyages intérieurs développée pendant la période soviétique.
Saint-Pétersbourg attend 7 millions de visiteurs en 2022, soit un tiers de plus que l’année dernière. Le nombre élevé de visiteurs russes aide le tourisme à se remettre de la pandémie plus rapidement que dans les grandes villes européennes comme Amsterdam, Barcelone et Prague.
Le gouvernement a mis en place un programme d’incitation qui a rendu les voyages à l’intérieur de la Russie plus abordables. Pourtant, certains projets inhabituels semblent moins abordables, comme un nouvel itinéraire intitulé « Vacances sibériennes ». Ce voyage de 8 jours, qui coûte plus de 3000 $, suit les endroits préférés de Vladimir Poutine en Khakassie, la région de Krasnoïarsk et Touva, le lieu de naissance de Sergueï Choïgou, le ministre de la Défense, qui passe souvent des vacances avec le président.
Les Russes de la classe moyenne ne se rendent plus en Europe comme auparavant. Les cartes de crédit russes n’y sont pas acceptées, et leurs titulaires ne se sentent pas toujours les bienvenus non plus dans le contexte de l’opération militaire russe en Ukraine.
Ainsi, la Finlande l’a senti sans doute plus que les autres, car les Russes, principalement de Saint-Pétersbourg et de Moscou, ont disparu des hôtels, des chalets, des spas et des magasins du pays.
Certains habitants de Saint-Pétersbourg avaient l’habitude de se rendre en Finlande tous les mois pour acheter des aliments qu’ils jugeaient de meilleure qualité ou du moins de meilleur rang social.
« Certains magasins situés près de la frontière russe ont tout simplement fait faillite, car ils dépendaient de la clientèle russe pour le gros de leurs ventes », m’explique un ami qui travaille dans le tourisme à Saint-Pétersbourg.
Selon lui, les touristes russes font plus que compenser l’absence de touristes étrangers. « Plusieurs peuvent s’offrir le Grand Hôtel Europe, engager des guides privés et acheter les meilleurs billets de théâtre. » Les grands musées sont réservés des semaines à l’avance, comme je l’ai découvert à mon regret lorsque, sur un coup de tête, j’ai essayé de voir l’exposition de Mikhaïl Vroubel, un éminent artiste russe du début du XXe siècle.
Le tourisme intérieur fait partie de la politique russe de substitution des importations pour pallier l’effet des sanctions. Ce tourisme, lui aussi, fait face aux mêmes défis. Un musée a dû fermer une partie de sa collection parce qu’il ne pouvait plus réparer le système de ventilation installé par une société finlandaise, qui a quitté la Russie quelques semaines auparavant.
La rareté des pièces de rechange pour les avions Airbus et Boeing ainsi que pour les trains rapides construits par Siemens risque, à la longue, de ralentir les déplacements à l’intérieur du pays. Mais, estime mon ami, « même s’il faut sept heures au lieu de trois pour aller de Moscou à Saint-Pétersbourg, les touristes continueront à venir ». La fierté des habitants de cette ville est légendaire. Sera-t-elle justifiée cette fois-ci ?