Le gîte ne paye pas de mine. C’est un parallélépipède gris clair que rien ne distingue des autres maisons alentour. Une construction au toit plat datant de 1927. Elle dispose d’un garage en rez-de-chaussée que surplombe un petit appartement : deux chambres avec placards, cuisine, salon et salle de bains. À l’intérieur, tout est dans son jus. Ou presque : la porte de la cuisine a dû être remplacée : l’authentique, avec ses impacts de balles, est exposée dans le musée local.
Dans la salle de bains, en revanche, le carrelage, la baignoire et les luminaires sont d’origine. Le décor des autres pièces a été reconstitué à l’aide de meubles vintage exhumés chez les antiquaires du coin — lits, table, causeuse années 1930. La planque historique de Bonnie Parker et de Clyde Barrow, à Joplin, dans le Missouri, est une réussite. Et un succès. En 2019, juste avant la pandémie, la plateforme de location en ligne Airbnb y a enregistré 200 réservations.
Bonnie, Clyde et trois complices, s’y installèrent avec beaucoup d’armes et quelques bagages en avril 1933. Ville en plein essor sur la mythique Route 66, Joplin avait tout pour plaire à ces âmes en perdition : saloons, tripots et bordels en abondance. Le gang y séjourna deux semaines avant que la police, alertée par des voisins soupçonneux, ne se présente à la porte. Les agents furent accueillis par des rafales. Deux hommes y laissèrent la vie. Les gangsters, eux, prirent la poudre d’escampette.
⋙ Dark tourism : nouvelle manière d’aborder l’histoire ou tendance malsaine ?
“L’endroit idéal pour raconter leur parcours sanglant”
Dans l’appartement, les enquêteurs découvrirent un petit arsenal et un appareil photo. Il contenait une pellicule. Les clichés développés révélèrent le visage des tueurs : un gaillard à l’air bravache et une jolie blonde, coiffée d’un béret, cigare au bec. Le mythe “Bonnie and Clyde” était en marche. Quatre-vingt-dix ans plus tard, il n’en finit pas de fasciner… Et les différents théâtres de leurs “exploits” figurent au catalogue de plusieurs tour-opérateurs.
En premier lieu, West Dallas, bidonville fétide au tournant du 20e siècle devenu banlieue populaire de Dallas, troisième ville du Texas. “C’est ici qu’ils se sont rencontrés et que commence leur histoire”, explique Robin Cole-Jett. Depuis dix ans, cette historienne propose des visites guidées sur les traces du célèbre couple de gangsters. Dans son SUV climatisé, au tarif de 175 euros la demi-journée, elle promène des groupes jusqu’à quatre personnes dans le creuset qui métamorphosa des adolescents pauvres de l’époque de la Dépression en bandits de légende.
Au programme de la balade, l’Eagle Ford School, où Bonnie, excellente élève, s’est illustrée en collectionnant les prix de littérature et d’éloquence. Le Hargraves Cafe, où adolescente en rupture de ban, elle a servi les ouvriers de la blanchisserie voisine. Ou encore la “maison du crime” sur l’avenue North Winnetka où Clyde Barrow a abattu le shérif adjoint Malcolm Davis en janvier 1933. “C’est l’endroit idéal pour raconter leur parcours sanglant, poursuit Robin Cole-Jett, car c’est un des rares bâtiments de l’époque à être encore debout.”
Unis dans le crime, séparés dans la mort
En revanche, l’ancienne station-service de la famille Barrow, située boulevard Singleton, a été rasée par les bulldozers en avril 2022. “Détruite par un promoteur, propriétaire du terrain, se désole l’historienne. Dommage, car elle aurait pu être aménagée en bar restaurant et attirer de nombreux visiteurs”. L’excursion s’achève au cimetière.
“Bonnie et Clyde avaient émis le souhait de ne pas être séparés dans la mort, explique encore Robin Cole-Jett. Mais leurs mères ont refusé qu’ils soient enterrés ensemble.” Bonnie repose donc au Crown Hill Memorial Park dans le nord de Dallas. Seule et sous cette étonnante épitaphe : “Comme les fleurs sont adoucies par le soleil et la rosée, ce vieux monde est rendu plus lumineux par la vie de personnes telles que toi.” Clyde, lui, est inhumé avec son frère Buck à une vingtaine de kilomètres de là, dans le cimetière de Western Heights. “On a parfois la chance d’y croiser Buddy Barrow, un neveu de Clyde qui vient régulièrement se recueillir sur sa tombe, dit Robin Cole-Jett. Il adore raconter aux touristes des anecdotes sur son infâme parent.”
De toutes les œuvres de glamourisation des méfaits — en réalité souvent pitoyables — du gang Barrow, le film avec Warren Beatty et Faye Dunaway, sorti sur les écrans en 1967, est sans doute celui qui a le plus fait pour leur gloire posthume. Le réalisateur Arthur Penn a tenu à tourner certaines scènes sur les sites authentiques devenus aujourd’hui lieux de pèlerinage. La banque de Ponder, au Texas, n’est plus une banque, mais une dépendance de la mairie. Sa façade de briques orange est d’époque. Et aux heures d’ouverture, il est possible de jeter un coup d’œil au coffre-fort que la bande voulait dévaliser. Il a été conservé tel que les bandits l’ont trouvé : vide. L’établissement avait fait faillite la semaine précédente.
“Bon, on a fait le boulot. Bonnie et Clyde sont morts”
À 150 kilomètres au sud-est de là, à Kemp, on peut voir une “calaboose”, prison sommaire et typique des petites bourgades du sud des États-Unis. Un minuscule bâtiment d’une unique pièce. Sol en terre battue. Porte en fer ajourée, fermée avec un cadenas. Et percé de deux lucarnes pourvues de barreaux. Bonnie et un membre du gang ont été détenus dans ce réduit, pendant une nuit en 1932, à la suite du braquage foireux d’une quincaillerie. Transférée et jugée au tribunal de Kaufman (Texas), la jeune femme écope de quelques mois de prison, avant de rejoindre Clyde dans une odyssée sanglante qui devait s’achever deux ans plus tard dans le nord de la Louisiane.
Gibsland, capitale de la jonquille, déploie son plan rectiligne de part et d’autre de la route 154. Dans le centre-ville de ce bourg d’un millier d’âmes, sur la Première Rue, une ancienne station-service tombe doucement en ruine. Les herbes folles mangent le sol de béton. Les trois pompes, à sec, rouillent sous l’auvent. Sur la façade, juste à côté de la porte du garage, un panneau jaune vif attire l’œil. “Bon, on a fait le boulot. Bonnie et Clyde sont morts”, peut-on y lire. Ce sont les mots prononcés par le Texas ranger Frank Hamer, le 23 mai 1934, lorsqu’il a appelé les policiers de Dallas, depuis le téléphone mural qui se trouvait précisément à cet endroit.
À deux minutes à pied des pompes à essence, au numéro 2419 de Main Street, se dresse un bâtiment de plain-pied à la façade taupe et à l’auvent vert bouteille : le Bonnie & Clyde Ambush museum. Ce “musée de l’embuscade” abritait autrefois le café de Ma Canfield. Bonnie Parker et Clyde Barrow y ont fait halte peu de temps avant de mourir.
Kermesse, barbecue, parade et concours de sosies
“Nous avons de nombreuses pièces historiques, explique Perry Carver, qui gère l’établissement depuis 2015. Nous avons des vêtements, des montres et des flingues…” On peut voir une reconstitution plutôt gore : une Ford jaune, identique à celle que conduisaient le couple, criblée de balles Deux mannequins représentant Bonnie et Clyde ensanglantés sont affalés sur les sièges avant. Dans une vitrine, on découvre une paire de chaussures ayant appartenu à Bonnie et des chaussettes de Clyde. “Nous possédons également un moulage en bronze de sa main droite, poursuit Perry Carver. Il a été réalisé par l’employé des pompes funèbres qui a réceptionné le corps à Dallas.”
Chaque année, fin mai, date anniversaire de la fusillade fatale, le musée organise le festival Bonnie and Clyde. Au programme de cette grande kermesse, barbecues, parades, exhibitions de voitures anciennes ou encore concours de sosies du couple de gangsters, catégories adultes et enfants. Instant phare de la journée, la reconstitution d’un braquage de la banque locale, avec des comédiens amateurs en costumes d’époque. Bonnie coiffée de son sempiternel béret et Clyde défouraillant à tout va, tirent sur les shérifs. Les balles à blanc claquent, l’odeur de la poudre se répand sur Main Street. Les comédiens grimés en shérifs tombent, mortellement touchés. Le couple s’engouffre dans une antique Ford et s’enfuit avec son butin. “En 2023, le musée fête son trentième anniversaire, alors le spectacle sera encore plus spectaculaire”, promet Perry Carver.
Cette animation, si elle réjouit les nombreux visiteurs, est une entorse à la vérité historique. En réalité, Bonnie et Clyde n’ont jamais braqué de banque à Gibsland. Le couple n’y a fait qu’une halte, le temps de se restaurer. Ils ont commandé des sandwichs chez Ma Canfield avant de reprendre la route. Ils ignoraient qu’à une douzaine de kilomètres de là, six policiers étaient en embuscade. Deux monuments se dressent aujourd’hui sur le site du guet-apens. Une plaque avec les portraits et les noms des six Texas rangers qui ont abattu les deux derniers membres du gang Barrow. Et une stèle, simple pierre gravée qui rappelle que le 23 mai 1934, à 21 heures 15, après deux ans de cavale ponctuée de douze meurtres, la carrière criminelle de Bonnie Parker et de Clyde Barrow s’est achevée ici, sous une giboulée de balles. La légende pouvait commencer…
A lire aussi :
Egypte : sur les pas d’Agatha Christie, découvrez les lieux préférés de la “reine du crime”
Lucky Luke : la véritable histoire des Dalton, frères de crime et de sang
Mafia new-yorkaise : l’histoire sanglante du syndicat du crime