À pied ou à vélo, la révolution du tourisme

0

S’évader à vélo plusieurs jours. Camper au fil du voyage. C’est Hamza, 11 ans, qui en a parlé le premier. Convaincre sa mère n’aura pas été bien difficile. « Je suis issue d’un milieu rural où la bicyclette représentait l’unique moyen de locomotion sans solliciter les parents, explique Anne. Je suis partie plusieurs fois seule. Et là, mon fils m’a dit : j’aimerais bien venir. » La journaliste de 44 ans garde cette petite phrase dans un coin de sa tête. Jusqu’au moment où il faut préparer les grandes vacances. Avec Hamza, elle a déjà voyagé loin, très loin. « Pour des raisons écologiques évidentes, je n’ai plus envie de prendre l’avion », assure-t-elle. Le Covid est aussi passé par là, avec son lot de remises en question. Alors, cette année, va pour les plages de Seine-Maritime. En ce long week-end de l’Assomption, ils reviennent tout juste de leur périple. De Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) jusqu’au Havre (Seine-Maritime), huit jours à leur rythme, le long des berges de la Seine, avec une moyenne de 50 kilomètres par jour. « C’était magnifique, se réjouit Anne. Les sentiers de halage sont bien ombragés. Hamza a été super enthousiaste. C’était vraiment très chouette de partager ça ensemble. » L’entourage de la famille parle de défi relevé. Anne hausse les épaules : « Pour nous, c’était juste une grande balade. Une variation de nos vacances. »

« la randonnée nous apprend à être patients »

Comme Hamza et Anne, ils sont nombreux cet été à faire le choix de pédaler. Une véritable « vélorution » née il y a une dizaine d’années, d’abord en ville. On compte en France 10 millions de nouveaux pratiquants au cours des six dernières années, soit près de 32 millions au total. Depuis la crise sanitaire, le cyclotourisme est devenu la première pratique d’itinérance touristique, devançant la pourtant très populaire randonnée pédestre. Selon le réseau de collectivités Vélo & Territoires, de janvier à début juillet 2022, les cyclistes étaient en moyenne 16 % (44 % en mai) de plus qu’à la même période en 2021 à parcourir les EuroVelo, un réseau européen de voies cyclables qui s’étend sur 9 000 kilomètres dans l’Hexagone. Cet été, le groupe Facebook « Voyager à vélo » déborde de témoignages de nouveaux cyclotouristes. Ils étaient moins de 20 000 internautes à échanger les bons tuyaux et les expériences. Ils sont aujourd’hui près de 70 000. Des novices qui partent en itinérance plus jeunes – entre 25 et 45 ans – et puisent toutes les informations, cartes et autres conseils, sur Internet, où elles foisonnent.

Certes, les restrictions aux frontières ont poussé bon nombre de personnes à découvrir les paysages plus près de chez eux. La société en a été bouleversée et, aujourd’hui plus qu’hier, il y a ce besoin de sortir, d’être au soleil, de prendre conscience des mérites de la lenteur. Selon une étude du ministère de l’Économie, le nombre de passages sur les véloroutes a augmenté de 18 % par rapport à 2019. « La Loire à vélo » – le plus ancien des itinéraires, déjà fort de plus de 1 million de cyclotouristes – a vu sa fréquentation augmenter de 30 %. Le chemin était déjà tracé en partie. Deuxième destination mondiale pour les vacances à vélo, (loin) derrière l’Allemagne, le pays dispose d’un peu plus de 20 000 kilomètres balisés. Le gouvernement ambitionne de faire de la France la première destination vélotouristique au monde d’ici à 2030. Il reste du boulot : quelque 6 230 kilomètres doivent encore être adaptés pour atteindre l’objectif. Surtout, il faut être en capacité de garantir un dispositif sécurisé et sécurisant, avec des panneaux d’itinéraire visibles. Développer la pratique de la bicyclette, c’est la faire entrer dans tous les projets d’aménagement. La campagne « Mon vélo dans le train », par exemple, réunit 22 associations pour faire bouger les lignes.

Après le vélo, la randonnée pédestre compte elle aussi un nombre croissant d’adeptes. L’épidémie, là encore, a montré que le voyage pouvait commencer au bout de sa chaussure. Partir moins loin, moins longtemps, mais aussi pour moins cher. Car l’inflation, qui a dépassé 6 % sur un an, est bien palpable. Quand le prix des carburants flirte avec les 2 euros le litre, les calculs sont vite faits : mieux vaut opter pour du bon matériel de marche et laisser la voiture au garage. Pierre et Chrystelle ont fait ce choix. Avec leurs deux enfants, Lino, 12 ans, et Anaëlle, 9 ans, ils ont pris le parti de sillonner le Val-d’Oise. Et de commencer leur ­périple en train de banlieue, direction Auvers-sur-Oise, sur les traces de Van Gogh et des impressionnistes. « Il y a beaucoup de forêts bien balisées dans cette région, raconte Pierre. Les enfants ont vu pour la première fois une chevrette et ses deux petits. On est restés comme ça un bon moment, à se regarder. Ils s’en souviendront, c’est sûr ! » En escale au centre équestre de L’Isle-Adam, ils se sont payé le luxe d’une balade à cheval. D’ordinaire, la famille chargeait à bloc le coffre de la Twingo et filait vers la Méditerranée. Elle, infirmière, avait besoin d’autre chose, après deux années où ses nerfs ont été mis à rude épreuve : « Une collègue m’a parlé de l’une de ses randos en famille. Ça m’a tout de suite inspirée. » Restait à convaincre les enfants. Pierre rigole : « On a choisi de camper. Ils ont aimé l’idée. »

Près de 27 millions de Français déclarent avoir pratiqué la marche et la randonnée pédestre en 2021. Soit 9 millions de plus qu’en 2014, d’après une étude de la Fédération française de randonnée (FFR). Avec près de 3 500 clubs, la FFR recense cette année une augmentation de 8 % de son nombre d’adhérents. Pour Olivier Bleys, écrivain et auteur de l’Art de la marche (éd. Albin Michel), « la randonnée nous apprend à être patients. À nou s débarrasser du superflu et à prendre conscience du temps. C’est tout l’inverse de nos sociétés modernes ». À pied ou à vélo, ils sont de plus en plus nombreux à repenser leur conception des vacances. Souci d’écologie, d’économies. Ou les deux à la fois. Dans un monde qui va trop vite, ces Français bousculent les règles et font acte de résistance.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici