Retour sur une histoire qui va durer encore quelques décennies
Il y a 30 ans, en mai 1992, Edith Cresson n’était plus Première ministre depuis un mois. Le monde s’apprêtait à vivre le Premier Sommet de la Terre, à Rio de Janeiro. Le développement durable aller entrer dans les discours.
30 ans plus tard, Élisabeth Borne est devenue la deuxième Première ministre de l’histoire de la République française. 30 ans plus tard, le développement durable est entré dans les mœurs. 30 ans pour une double prise de conscience, féministe et écologique. Il était temps !
30 ans plus tard, la politique publique touristique se prend de passion pour le durable, après le numérique et l’innovation. Les Régions françaises s’apprêtent à décider de leurs prochains Schémas régionaux du développement du tourisme et des loisirs (SRDTL), en en faisant le cœur de la leur projet.
Retour sur cette histoire. Que j’ai eu la chance, par mes différentes expériences professionnelles, de vivre.
D’un sommet de la Terre à une terre qui depuis nous a sommés, sonnés et nous soumet.
Sommet de la Terre de Rio (1992)
Une décennie pour définir : tourisme durable et développement durable du tourisme
Le tourisme, un héritage économique de la croissance ?
De 1950 à 2020, le tourisme a connu une croissance exponentielle dans le monde. A un rythme de près de 4% par an, le nombre de voyageurs dans le monde s’est diffusé à une vitesse régulière et rapide. De quelques millions au début des années 1950 à plusieurs centaines de millions au début des années 1980, le nombre de touristes suit l’évolution des niveaux de vie et les modes de consommation. La structure des dépenses des ménages évolue selon un profil rencontré dans l’ensemble des pays occidentaux. En France, par exemple, entre 1960 et 2010, le volume de consommation est multiplié par trois. Les consommations dédiées aux besoins primaires (alimentation, habillement) se réduisent tandis que celles liées aux services (logement, transports, santé, communication, loisirs) passent de 30 % à plus de 50 % des dépenses. De nombreuses transformations sociétales accompagnent cette période. L’urbanisation, l’évolution des modes de vie, l’individualisation des mobilités, marquent l’Europe et l’Amérique du Nord des Trente Glorieuses. La progression du temps libre disponible augmente sensiblement. En quelques décennies, la « civilisation des loisirs » s’impose, pour l’ensemble des classes d’âges et classes sociales. Des loisirs quotidiens comme des loisirs plus occasionnels rythment les vies. Les règles sociales permettent notamment avec la réduction de la durée de travail hebdomadaire et le vote d’une cinquième semaine de congés payés au début des années 1980, de généraliser l’accès aux vacances. Plus des deux tiers des Français partent en congés. Le phénomène est identique dans les pays européens les plus proches, en Allemagne, Grande-Bretagne, Italie ou Benelux. C’est à cette époque que la France se découvre réellement comme véritable destination touristique européenne et mondiale. La politique d’aménagement du territoire connait son apogée. Des investissements lourds d’infrastructures sont pratiqués dans des zones et des espaces que les pouvoirs publics souhaitent alors aménager. C’est le lancement des grandes stations balnéaires ou de montagne, que rien ne semble pouvoir alors limiter dans leur extension et leur développement.
Les premières réglementations environnementales encadrent le développement touristique
Les premières défenses de l’environnement ont été portées par quelques associations dès le début des années 1970. D’abord marginales, parce que considérées comme contraires au « progrès » de la société, la question environnementale trouve un écho politique au fur et à mesure. René Dumont en a été sans nul doute la première figure tutélaire en France. Pour autant, Robert Poujade, fut le premier ministre de l’environnement entre 1971 et 1973. Son livre « le ministère de l’impossible » souligne combien la cause de la nature, mais également les luttes contre les pollutions (eau, industrie, sonore) rencontrent une hostilité assez large. Des règlementations imposent cependant de sauvegarder ou préserver des espaces naturels. Le statut de Parc national existe depuis 1960 mais c’est bien dans la décennie suivante avec les Cévennes (1970), les Ecrins (1973) et le Mercantour (1979) que la question de l’avenir de la montagne commence à se poser, un équilibre précaire entre les espèces naturelles et les activités humaines. Dans la même dynamique, les parcs naturels régionaux sont créés à partir de 1967, valorisant des territoires ruraux habités, reconnus pour leur forte valeur patrimoniale et paysagère. Ainsi le Parc naturel de Corse est créé en mai 1972, ce qui en fait le neuvième parc le plus ancien de France, mais l’un des plus vastes du pays. D’autres lois vont rapidement vouloir limiter la bétonisation d’espaces encore préservés et éviter l’artificialisation de vastes zones touristiques favorisant le tourisme de masse, comme d’autres pays ou régions y ont forgé leur identité touristique (Costa Brava ou Costa del Sol en Espagne, etc.). La loi du 10 juillet 1975 qui créé le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres a pour but de faire acquérir à ce dernier un tiers du littoral français afin d’en assurer la conservation et/ou la restauration. La loi du 3 janvier 1986, dite « loi littoral » vise à freiner à la foi à sauvegarder les espaces naturels littoraux et à en freiner un usage disproportionné par des projets immobiliers ou des aménagements portuaires. Elle définit le littoral comme « une entité géographique qui appelle une politique spécifique d’aménagement, de protection et de mise en valeur ». Elle succède dans l’esprit du législateur à la loi du 9 janvier 1985 dite « loi montagne », qui propose une gestion intégrée et transversale (agriculture, sports d’hiver, industrie, démographie, économie, culture, etc.) des territoires de montagne.
Développement soutenable ou développement durable ?
Dans ce contexte législatif et réglementaire, l’écologie intéresse et mobilise. Son poids politique progresse avec des mouvements qui naissent un peu partout en Europe, notamment en Allemagne, avec le parti « die Grünen ». Mais leurs résultats demeurent assez faibles aux différentes élections nationales, malgré quelques succès au moins d’estime à des élections plus locales. Les électeurs semblent manifester au quotidien davantage de préoccupations autour des questions énergétiques (place du nucléaire, centrales à charbon, pluies acides, etc.) ou d’opposition à une certaine forme de modèle démocratique ou économique proposé.
C’est dans cette décennie de mobilisation que les premières alertes scientifiques sensibilisent une part plus importante de la population, portées par quelques fortes voix médiatiques. Haroun Tazieff ou le Commandant Cousteau s’en font par exemple l’écho en France. Ces voix interpellent sur la fuite en avant de l’économie, sur l’épuisement prévisible des ressources naturelles, sur la disparition rapide de nombreuses espèces, sur les premiers signes de réchauffement climatique. Le discours s’appuie sur quelques données et surtout sur un terme anglophone, « sustainable development » que le grand public découvre. Comment doit-on le traduire en français ? Littéralement les premiers auteurs qui l’utilisent évoquent le « développement soutenable », un développement soutenable pour l’écosystème, soutenable pour l’humain, soutenable pour l’économie. D’autres parlent également de « développement raisonnable », puis de « développement durable », prenant en compte la dimension temporelle. Tout développement doit en effet s’inscrire dans un temps long. C’est dans les années 1990 que cette dernière traduction triomphe au moins en France.
Pour rappel, le développement durable est né des suites de plusieurs publications ou manifestations qui ont marqué l’histoire politique et économique des pays occidentaux.
La première, « Limits to Growth », connue sous le nom de « rapport Meadows » (diffusé depuis à plus de 16 millions d’exemplaires), est un rapport du MIT de Boston remis en 1972 au Club de Rome. C’est la première étude qui alerte sur une pénurie prévisible des ressources énergétiques et minérales ainsi que des conséquences du développement industriel sur l’environnement. Les conclusions du rapport sont déjà à l’époque sans équivoque et parle d’effondrement du système planétaire à un horizon de soixante ans (2030 – 2032)…
La deuxième date de 1987, « Notre avenir à tous » (Our Common Future) et est connue sous le nom de « Rapport Brundtland » : c’est dans ce rapport que le développement durable est défini, comme « un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Cette définition est accompagnée de plusieurs notions qui deviennent vite essentielles, notamment celle de « besoins » et celle de « limitations ».
La troisième coïncide, cinq années plus tard, avec la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, organisée à Rio de Janeiro en juin 1992. C’est au cours de ce « Sommet de la Terre » qu’un texte fondateur précise les principes du développement durable et surtout qu’est introduite la notion « diplomatie environnementale ». Un programme d’action pour le XXIème siècle, dit Agenda 21, énumère des recommandations pour la mise en œuvre du développement durable à l’échelle des territoires. C’est à Rio que sont adoptées la Convention sur le Climat, fondée sur trois grands principes (principe de précaution, principe de responsabilités communes mais différenciées, principe de droit au développement) et sur l’affirmation de la baisse drastique de l’émission de gaz à effet de serre, ainsi que la Convention sur la Biodiversité, avec trois objectifs principaux (conservation de la biodiversité, utilisation durable des éléments, partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques).
Tourisme durable ou développement durable du tourisme ?
La sémantique est importante et plusieurs expressions sont utilisées pour caractériser ce qui pourrait sembler une même activité.
Le tourisme durable, traduite directement de l’anglais « sustainable tourism », est utilisée par les institutions du tourisme au niveau international et national. Elle reconnait expressément la nécessité d’une approche stratégique pour le développement durable du tourisme. Elle est notamment promue par l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) dans le cadre de processus de décision, de planification et de gestion.
Le développement durable du tourisme est plutôt utilisé par des institutions économiques dans l’objectif de promouvoir une approche globale de l’activité́ touristique et du développement durable.
D’autres appellations sont également utilisées. Le tourisme responsable est principalement utilisé par les acteurs et les clients. Il implique la notion de responsabilité́ managériale des structures touristiques ainsi que la responsabilité́ directe et la conscience sociale du client. D’autres appellations sont utilisées dans le cadre général du développement durable du tourisme. Éco-tourisme, tourisme solidaire ou tourisme équitable ne recouvrent qu’une partie seulement des aspects pris en compte dans l’application du développement durable du tourisme.
Sommet de Johannesburg, Rio+10 (2002)
Une décennie pour convaincre : vers la chaine de valeur du tourisme durable
Les premiers principes du développement durable du tourisme
Les années qui suivent le Sommet de Rio vont contribuer à affirmer les principes fondateurs du développement durable du tourisme. Dans ses premières définitions, le développement durable fixe comme enjeux de « concilier performance économique, progrès social et préservation de l’environnement ». L’économie, le social et l’environnement constituent les trois piliers originels du développement durable. Auxquels rapidement est associée la notion de « bonne gouvernance », à savoir « l’exercice des pouvoirs économique, politique et administratif pour gérer les affaires » à toutes les échelles territoriales considérées. La bonne gouvernance doit être « participative, transparente, responsable, efficace et équitable. »
Une succession de réunions et conférences internationales vont contribuer en quelques années au succès du terme « tourisme durable », en essayant au-delà de sa définition de lui donner corps, sens et objectifs. La Conférence mondiale du tourisme durable organisée en avril 1995 à Lanzarote, au Canaries, énonce la Charte du tourisme durable qui présente les dix-huit principes du tourisme durable inspirés deux ceux énoncés dans la Déclaration de Rio et des recommandations de l’Agenda 21. La septième session Commission du développement durable des Nations Unies, appelle en 1999 les gouvernements à faire avancer le développement du tourisme durable, insistant sur la nécessité́ que soient élaborés des politiques, des stratégies et des plans directeurs pour un tourisme durable basés sur l’Agenda 21, afin de fournir aux organisations concernées, au secteur privé et aux populations locales une orientation et des moyens pour concentrer leur action. Le Code mondial d’éthique du tourisme de l’OMT de 1999 et approuvé par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2001 invite les gouvernements et autres acteurs du secteur du tourisme à transcrire le contenu du code dans leurs législation, règlements et pratiques professionnelles. L’année 2002 est déclarée année internationale de l’écotourisme des Nations Unies, qui débouche sur la Déclaration du Sommet mondial de l’écotourisme de Québec, en mai. Quelques semaines plus tard, en août et septembre, le Sommet mondial sur le développement durable (SMDD) de Johannesburg préconise dans son Plan d’action la promotion du tourisme durable comme l’une des stratégies de protection et de gestion des ressources naturelles, à la base du développement économique et social. L’article 43 met l’accent notamment sur la gestion des visiteurs, un meilleur accès au marché́. Le développement du tourisme est mentionné́ parmi les mesures à prendre pour permettre le développement durable des petits États insulaires et de l’Afrique, ainsi que pour la gestion de l’énergie et la conservation de la biodiversité́. La Convention sur la diversité́ biologique (CDB) adopte en 2003 des recommandations concernant la biodiversité́ et le développement du tourisme, un processus en 10 étapes pour l’élaboration des politiques, la planification du développement et la gestion du tourisme dans les destinations ou sur les sites.
Les paradoxes de la relation entre tourisme et durabilité
Depuis le début des années 2000, le développement durable a été abordé à de nombreuses reprises par les pouvoirs publics, par les entreprises, par des ONG et le milieu associatif. Le Protocole de Kyoto, signé en 1997 et entré en vigueur en 2005 après de longues négociations internationales, fixe comme objectifs une réduction de six gaz à effet de serre (CO2, CH4, N2O, HFCs, PFCs, SF6) afin de limiter le réchauffement climatique à un horizon de moyen et long termes. D’autres initiatives, par exemple à l’échelle nationale, par exemple le Grenelle de l’environnement, en 2007, établissent le développement durable comme socle de leur projet, en y intégrant à la fois lutte contre le réchauffement climatique, préservation de la biodiversité et réduction des pollutions (avec notamment le sujet de la création d’une taxe climat – énergie). Le développement durable entre dans de nombreux discours et rapport d’activités d’entreprises. Il devient même une sorte de « talisman », sans jamais se démentir. Le tourisme durable entre également dans les pratiques, avec un paradoxe de taille : plus les actions en la matière se multiplient, plus le nombre de touristes dans le monde continue d’augmenter, notamment avec l’arrivée sur le marché mondial des Chinois qui consomment, voyagent, influencent l’industrie touristique en devenant en quelques années le premier marché émetteur de touristes internationaux, le premier marché d’avions, la première puissance industrielle touristique (avec par exemple le rachat ou la prise de participations dans des groupes français comme le Club Med, Louvre Hotels mais aussi Accor).
En Europe, la Commission européenne créé́ en 2004 un « Groupe Durabilité́ du tourisme » (GDT), qui a pour mission de rédiger le rapport « Agir pour un tourisme européen plus durable ». Ce document définit des responsabilités spécifiques à chaque type d’acteurs touristiques : les destinations durables, les entreprises durables, les touristes responsables. Dans sa lignée, la Commission publie, en 2007, un « Agenda pour un tourisme européen compétitif et durable ».
En parallèle, entre 2006 à 2010, le Groupe de travail international sur le développement du tourisme durable (GTI-DTD) développe près de quarante projets et initiatives. Des recommandations politiques sont adoptées, portant sur le marketing, le renforcement des capacités, la consommation des produits et des services, le suivi et l’évaluation. En janvier 2011, le GTI-DTD se transforme pour ne travailler, en partenariat avec l’ONU, que sur sept thèmes de travail : le changement climatique, la protection de l’environnement et de la biodiversité́, la lutte contre la pauvreté́, le cadre d’action politique, le patrimoine culturel et naturel, le secteur privé, la finance et les investissements. Le développement du tourisme durable comprend toute une gamme d’activités et d’acteurs touristiques, depuis l’offre de produits par les « prestataires de services » touristiques jusqu’à la demande de tourisme des « consommateurs ». La démarche assigne des responsabilités à tous les acteurs et à toutes les activités du territoire.
La chaine de valeur du tourisme durable
La notion de chaine de valeur du tourisme a été définie par l’OMT. Elle caractérise l’ensemble des prestations constitutives du parcours client. Le développement durable concerne l’ensemble des acteurs touristiques. On l’identifie aisément, on vient de le voir, à l’action contre le changement climatique, à la protection de la biodiversité ou la préservation des ressources naturelles et patrimoniales.
Deux secteurs, les mobilités et les hébergements, sont particulièrement concernés depuis une dizaine d’années par l’émergence de la prise de conscience citoyenne et la responsabilisation des acteurs professionnels. La crise de la Covid n’a fait qu’amplifier ces phénomènes, confirmée par des études publiées notamment par l’ADEME en avril 2021. Les transports représentent la majorité des émissions de gaz à effet de serre. Les mobilités touristiques ont émis 91 MtCO2e en 2018, soit 77 % du bilan des émissions GES du tourisme en France. L’hébergement touristique représente 8,5 MtCO2e, soit 7 % du bilan des émissions GES du tourisme en France. A eux deux, ces deux secteurs bien connus et tangibles représentent les secteurs les plus dispendieux. Si on les additionne avec le digital, c’est-à-dire les achats de biens touristiques sur internet (donc la question de serveurs) et la restauration, ces quatre activités occasionnent selon l’ADEME 97% des émissions de GES du tourisme en France. De quoi actionner des programmes spécifiques de réduction sur ces secteurs.
Ce bilan propose une certaine forme de chaine de valeur du tourisme durable, avec les segments traditionnels du parcours client et met en exergue les points de tension environnementale.
Rio+20 (2012)
Une décennie pour agir : enjeux, outils et acteurs du tourisme durable
Le tourisme, un secteur qui contribue au changement climatique
Le tourisme est à l’origine de nombreuses pressions environnementales. La chaine de valeur du tourisme durable souligne combien les différents segments du tourisme générèrent des externalités environnementales (que l’on pourrait appeler les « externalités touristiques ») en amont, pendant, et en aval de la présence de visiteurs sur un territoire.
Le tourisme est une économie de l’offre. Pour recevoir des visiteurs, un territoire doit investir dans des infrastructures de transport, d’hébergement, de restauration, d’activités sportives ou culturelles, de traitement et gestion des ordures ménagères, de production d’énergie, etc. Leur production, doublée de l’artificialisation des sols qu’elle incombe, génère des externalités négatives. Pendant le séjour, les communes touristiques se distinguent par une consommation supérieure à la moyenne française en en électricité. Il en va de même pour la distribution d’eau potable et de traitement des eaux usées. En moyenne, un visiteur consomme un volume équivalent à 143 litres d’eau par jour, moyenne de consommation d’un Français. Cela augmente donc d’autant la pression sur les réseaux existants.
C’est le même cas pour la production de déchets ménagers, estimée à 1,4 kg par jour (équivalent à la production quotidienne d’un habitant).
Dans certaines destinations ou territoires fortement touristique, les pressions sur les ressources naturelles peuvent aller jusqu’à + 211 % de consommation annuelle d’eau, + 287 % de consommation annuelle d’énergie, et + 27 % de production de déchets par rapport à la moyenne nationale.
L’activité touristique est par essence mobile. Elle génère de nombreuses mobilités (avion, autocar, automobile, bateau, train) : les mobilités origine – destination (80 MtCO2e de GES en 2018), les mobilités à destination (6,6 MtCO2e) et les constructions d’infrastructures de transport (3,7 MtCO2e).
En analysant les deux paramètres « nombre de passagers – kilomètres parcourus » et « émission du mode de transport », il apparait que l’intensité carbone du tourisme réceptif est sept plus élevée que celle du tourisme interne. En moyenne, en France, les visiteurs étrangers représentent 32% des arrivées mais sont à l’origine de 80% des GES.
Les dernières années ont marqué une prise de conscience de nombreux citoyens du rôle des transports dans les GES et le réchauffement climatique. Les pressions sur l’environnement sont chaque année plus visibles, avec la hausse des températures, le raccourcissement des périodes d’enneigement en montagne, le recul du trait littoral, l’intensité croissante des feux de forêt, etc. Une étude de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) souligne que 40% des Européens seraient prêts à arrêter de prendre l’avion pour lutter contre le réchauffement climatique et réduire leur empreinte carbone.
Vers la neutralité carbone du tourisme
De nombreux acteurs internationaux du tourisme se sont engagés en 2018 en s’engageant, à partir de 2018, à respecter la « Climate Neutral Now » des Nations Unies, visant à aller vers une neutralité carbone en réduisant et compensant leurs GES. De nombreuses actions sont définies, dont le recours aux énergies renouvelables, la réduction de la consommation d’eau et des déchets, l’utilisation de matériaux durables par exemple pour le secteur de l’hébergement.
Des pistes d’actions sont identifiées, à la fois en matière d’offre, comme de demande touristique. Concernant la diminution des GES de l’offre touristique, l’action la plus évidente est de réduire les émissions des transports en jouant sur leur volume, leur prix, leur régulation mais également leur sobriété consommatrice. Il convient sans doute de mieux mesurer chaque activité touristique, sa consommation énergétique (consommation par mode de transport ou performance énergétique d’un hébergement) et son intensité carbone.
Agir sur la demande touristique des visiteurs peut passer la promotion de séjours moins lointains, plus économiques et sobres, accessibles par des modes « doux » et plus efficaces. Ce sont les comportements des consommateurs qui doivent évoluer encore en ce sens. Ils peuvent être incité plus ou moins directement, par des « nudge » ou des incitations économiques (primes, aides ou taxes).
C’est dans cette logique d’actions que de nombreux projets ont vu le jour, portés par des collectifs nationaux (Acteurs du tourisme durable, …) ou internationaux, portés par des entreprises (Voyageurs du monde par exemple) ou des territoires (comme celui de La Rochelle).
Faut-il créer des fonds de compensation ou une autre forme à inventer pour contribuer à la diminution drastique des émissions de CO2 mais aussi contribuer au financement de la transition de l’économie touristique, donc de l’économie chaque territoire ? S’il n’existe pas de vérité absolue, il semble que des cas peuvent inspirer.
Prenons deux exemples. Le premier est celui porté avec conviction et engagement par le Groupe Voyageurs du monde depuis plus de dix ans, pour lutter contre le réchauffement climatique. Le tour-opérateur a développé une politique « propre », à tous les sens du terme, qui lui permet aujourd’hui d’absorber la totalité des émissions de CO2 liées aux déplacements (dans les airs mais aussi sur terre) de ses voyageurs grâce à de grands projets de reforestation à travers le monde. La démarche est intéressante car elle permet une empreinte 100% carbone neutre. Le parti pris philosophique au départ se rapproche de nos convictions : voyager est consubstantiel à l’existence et l’émergence des loisirs dans les modes de vie, selon qu’ils sont orientés intelligemment vers l’apprentissage, la culture, la découverte de l’altérité, confortent les liens sociaux et la compréhension du monde et de ses complexités.
La compensation pratiquée n’est valable que si elle repose sur trois piliers fondamentaux, structurels et complémentaires :
- l’utilité et sociale et pérenne du secteur considéré (le tourisme l’est historiquement pour la Corse) dans l’attente de solutions technologiques permettant à long terme à ce secteur de ne plus émettre de CO2 (solutions concernant les transports avec la promesse de l’avion à hydrogène par exemple mais pas avant 2035 ou 2040 et l’hébergement, par exemple) ;
- la réalisation de compensation « additionnelle », c’est à dire de projets qui n’auraient jamais vu le jour sans (avec le financement d’initiatives nouvelles liées à la première condition) ;
- la pérennité de la compensation par absorption bien au-delà du moyen et long terme (plantation d’arbres, création d’entreprises, etc.).
Les priorités d’intervention pour les décideurs
Pour une majorité de territoires, confrontés à l’urgence de la transition écologique, le tourisme est un secteur économique clé.
Une mission a été confiée à l’ADEME lors d’un Comité de Pilotage du Tourisme en janvier 2019 pour travailler sur les contours d’une politique nationale en faveur du développement d’un tourisme durable pour concilier ambitions économiques, engagements climatiques et écologiques, respectant les engagements pris par la France à travers notamment l’Accord de Paris signé en 2015. 10 priorités d’intervention, 20 mesures et 50 actions ont été proposées. Les priorités d’action peuvent être déclinées à toute échelle territoriale :
- Réaliser un bilan gaz à effet de serre du tourisme : construire un plan d’actions, suivre l’évolution des émissions dans le temps, intégrer un indicateur dédié́ axes d’évaluation de la politique touristique.
- Verdir les étoiles du classement hébergements touristiques et enrichir les référentiels par des critères obligatoires en matière de développement durable lors de leur révision.
- Former les professionnels du tourisme aux enjeux du développement durable.
- Inciter la transition des acteurs au travers d’éco-conditionnalités intégrés dans les dispositifs de structuration et de développement du tourisme, notamment dans les contrats passés entre l’État et les collectivités territoriales (contrats de destination, France Tourisme Ingénierie, dispositifs de financement soutenus par les instances publiques, etc.).
- Renforcer l’exemplarité des collectivités en matière de déplacements professionnels, de l’organisation d’évènements et d’intégration de critères environnementaux et sociaux ambitieux dans les appels d’offres.
- Structurer une offre visant prioritairement les hébergements, les acteurs du transport et les grands sites et portant notamment sur l’économie circulaire, la réduction des émissions de GES et l’adaptation au changement climatique.
- Amplifier la rénovation des hébergements touristiques (Fonds TSI, dispositif France Tourisme Ingénierie pour l’accompagnement technique et financier des stations de montagne et du littoral pour la rénovation des hébergements touristiques, etc.)
- Renforcer la promotion des offres durables en France et à l’international, pour rendre visibles les offres durables dans les guides ou sur les plateformes de réservation des hébergements (ex : ajout de critères de sélection dans les filtres de recherche).
- Informer les passagers sur les aux émissions de GES de leur voyage
- Financer la transition écologique des acteurs du tourisme par l’instauration d’une contribution affectée basée sur le chiffre d’affaires des sociétés d’autoroutes (ex : 0,5 %).
Rio+30
RIO+30 ET DEMAIN ?
Et demain ? Je suis certain que le travail collectif infuse et diffuse. Il y a trente ans, la question de la durabilité semblait souvent lointaine. La prise de conscience a été collective, les premières actions ont été réalisées. En France, les prochains SRDTL vont axer leurs principales orientations sur la question de la durabilité. Cette dernière va remplacer la notion d’innovation, qui fut le « gimmick » des derniers schémas régionaux. Des territoires comme l’Occitanie ou la Nouvelle Aquitaine en ont déjà fait le choix et semblent en pointe. Notamment en ce qui concernant la question clef des mobilités, avec le recours à des modes collectifs expérimentaux, à hydrogène ou GNL. Au-delà, il est évident que nos actions n’auront qu’un impact minime à court terme. On risque d’assister à une course ou une compétition. A celui qui sera plus durable que l’autre. A qui préservera le mieux la planète que son voisin. Il est intéressant de penser que comme le réchauffement, les offres de demain ne se limiteront pas aux frontières hexagonales. La qualité de la communication sera à observer. Je trouve que l’une des campagnes actuelles les plus intéressantes vient de Suisse. Elle est axée autour d’un slogan global simple (« J’ai besoin de Suisse ») incarné par un ambassadeur de marque unique Roger Federer. Elle est synthétisée autour su concept de « Swisstainable », qui vise sur trois ans à positionner la Suisse comme « la » destination de voyage durable. Auxquels l’ensemble des partenaires touristiques (offices de tourisme régionaux, offices locaux, hébergement et gastronomie) participent, aux différentes saisons et selon les différents espaces (été, automne, hiver, campagnes, villes et événements professionnels).