Elu, en pleine pandémie, en août 2021 à la tête de la Confédération nationale du tourisme, Hamid Bentahar a rapidement réorganisé puis réconcilié cette organisation dont les fédérations se déchiraient durant les deux mandats de son prédécesseur.
Fin connaisseur du secteur, il a également entrepris un rapprochement inédit avec le ministère de tutelle et l’ONMT avec qui la CNT se projette main dans la main pour développer le secteur.
Après 2 ans de crise qui ont littéralement sinistré le secteur transversal du tourisme, le président de la CNT se veut extrêmement optimiste sur l’avenir à condition de dépasser certains freins qu’il nous expose dans cet entretien.
La demande est désormais tellement importante qu’il faut absolument mettre plus d’avions afin de récupérer notre part de marché
-Médias24 : Comment voyez-vous la reprise en cours, se suffit-elle à elle-même ?
Hamid Bentahar : Tout ce que nous avions prédit est en train de se produire. Depuis la récente levée du test PCR, le rythme des arrivées et des réservations est en constante augmentation.
Mais le vrai sujet d’actualité est que la demande est désormais tellement importante qu’il faut absolument mettre plus d’avions afin de récupérer notre part de marché. Il y a d’ores et déjà des dates où l’offre est saturée à cause d’une demande trop élevée.
Il faut donc impérativement encourager les compagnies aériennes et les Tour-Opérateurs à injecter davantage de sièges aériens.
Et nous devons garder à l’esprit que notre secteur peut contribuer aux défis du pays en générant nombres d’emplois et de recettes en devises et en contribuant à l’équilibre de la balance de paiement.
-Après deux ans de désaffection, la demande est donc bien de retour ?
-L’envie de voyager et la revanche sur deux années d’immobilisation sont une réalité.
Les touristes du monde entier ont besoin de rattraper le temps perdu et notre pays, dans toutes ses composantes, doit être à présent en mesure de répondre à cette demande.
-Comment fait-on pour reconstruire rapidement un réseau aérien ?
-Tout simplement en offrant plus de moyens financiers à l’Office national marocain du tourisme qui fait d’ores et déjà un travail extraordinaire ainsi qu’à la Royal Air Maroc afin d’être en mesure d’augmenter le nombre de liaisons aériennes, de sièges avions et in fine de capacité aérienne.
-En d’autres termes, le Maroc a une capacité aérienne insuffisante qui l’empêche de satisfaire l’ensemble de la demande exprimée ?
-C’est exactement cela. D’autant plus que si on ne met pas assez d’avions, une des conséquences supplémentaires sera que les prix des billets d’avion vont augmenter.
C’est la loi de l’offre et de la demande. Et si cela se produit, le problème alors c’est que nous risquons de ne plus être compétitifs.
-Avec la capacité aérienne actuelle, quel pourcentage de la demande pourra être satisfait et surtout à côté de combien d’arrivées risque de passer le Maroc ?
-Tout dépend de quoi on parle car mon propos n’est pas à court-terme et ne concerne pas spécifiquement la prochaine saison estivale. Le problème est plus global.
Nous devons penser à toute l’année 2022 et même à 2023 et les prochaines années. La mise en place de nouvelles routes, la programmation du Maroc par les compagnies étrangères ne sont pas des choses qui se décident du jour au lendemain.
Nous devons nous y mettre dès aujourd’hui pour des résultats à moyen et long terme.
Notre offre hôtelière existante est capable d’absorber deux fois plus de sièges aériens que durant l’année de référence qu’était 2019
-Quelles sont, selon vous les actions à entreprendre en priorité ?
-Sachant que nous avions en 2019 un taux d’occupation hôtelier limité à 48%, il est plus que faisable de doubler la capacité aérienne du Maroc pour arriver à remplir le parc hôtelier existant.
Au risque de me répéter, il convient juste d’allouer les moyens nécessaires à l’ONMT pour lui permettre de convaincre les compagnies aériennes et les tours opérateurs de doubler rapidement leur offre aérienne.
-Concrètement, comment l’ONMT s’y prend pour les convaincre ?
-Sur la base d’un accompagnement qui prend en considération le coût du risque de lancement d’une ligne aérienne ou de son renforcement dans celles qui existent déjà pour justement être en mesure de doubler le nombre de visiteurs étrangers dans certaines destinations ciblées.
A l’image de l’Espagne où il existe plusieurs villages touristiques d’allemands complets toute l’année, ces visiteurs sont prêts à venir bien plus nombreux à Agadir en hiver car ils considèrent que les températures sont quasi-estivales par rapport à leur pays. Idem pour le marché anglais qu’il faut développer.
En fait, c’est du co-marketing avec l’ONMT qui s’engage à communiquer suffisamment pour remplir les avions des compagnies aériennes et des prescripteurs de voyages comme les T.0 qui gèrent des hôtels.
A terme, cela permettra d’élargir les saisons pour certaines régions qui ne travaillent que l’été comme celle de l’Oriental, de Ouarzazate ou de Dakhla qui recèlent un potentiel de doublement des arrivées.
Pour les destinations comme Fès, Meknès ou le grand Sud qui ne travaillent pas beaucoup avec les nationaux durant l’été, il existe des segments de clients étrangers pour chaque type de produits.
Entre l’ONMT qui sait faire et les professionnels locaux, ce travail d’élargissement est à notre portée.
-Quand vous dites à notre portée, vous pensez à quel horizon ?
–Très rapidement voire en caricaturant à l’horizon d’hier. Pour s’en convaincre il suffit d’essayer de trouver un séjour balnéaire dans un hôtel 5 étoiles n’importe où dans le monde et vous constaterez l’incroyable flambée des prix à cause d’une demande exceptionnelle après deux ans de privations.
Durant la crise sanitaire, les gens se sont en effet privés de loisirs et ont épargné ce qu’ils dépensaient auparavant en voyages pour leurs congés hivernal ou estival. Ils ont donc envie de se faire plaisir.
Sachant que la demande est plus que jamais présente, les transporteurs et les T.O peuvent doubler leur capacité ou offre aérienne à partir de l’hiver prochain soit dans moins de 7 mois.
Nous n’avons pas besoin d’augmenter notre capacité hôtelière pour doubler le nombre d’arrivées car tout cela pourra se faire à court-terme uniquement avec notre offre hôtelière existante qui est capable d’absorber deux fois plus de sièges aériens que durant l’année de référence qu’était 2019.
-Un commentaire sur votre voyage marathon à Paris, Londres et New York aux côtés de l’ONMT ?
– J’aimerai d’abord féliciter l’ONMT pour cette magnifique initiative qui permet de mettre un beau coup de projecteur sur le Maroc. Les professionnels du tourisme de toutes les régions du pays se sont mobilisées au côté de l’Office pour que cette action de promotion soit un succès.
Notre rencontre avec les professionnels de ces 3 marchés a confirmé leur engouement pour la destination marocaine avec un énorme potentiel de demande lié à un désir de revanche de voyage.
Elle a aussi mis en avant le fait que le tourisme est devenu vital et que les français, anglais et américains ont vraiment envie de voyager pour s’évader et respirer après deux années de confinement national.
L’autre enseignement de ce voyage est que l’ONMT et la Confédération Nationale du Tourisme travaillent en bonne intelligence et mettent en commun leurs atouts pour une cause commune, notre secteur du tourisme. C’est unis que nous sommes plus forts.
-Depuis votre arrivée à la tête de la CNT, c’est une véritable lune de miel avec le secteur public ?
-Nous avons en effet la chance d’avoir à la tête de l’ONMT une personne qui sait de quoi elle parle mais est également capable de travailler de manière collaborative avec les représentants de la profession.
Adel El Fakir a beaucoup de talent et, en même temps, beaucoup d’humilité qui lui permettent d’écouter les points de vue et les analyses de tous les professionnels et d’en tirer le meilleur.
Le fait de venir du secteur privé lui permet certainement de mieux comprendre nos problématiques business et de puiser dans le capital-expérience des opérateurs pour aller de l’avant notamment lorsqu’il s’agit de trouver les réservoirs de croissance.
Aujourd’hui, il y a une volonté collective de rupture portée par la CNT, l’ONMT et bien évidemment le ministère de tutelle dirigé par madame Ammor, qui permet de mettre en place une dynamique d’accélération pour un retour en force du Maroc sur l’échiquier international du tourisme.
Il faut relativiser l’euphorie actuelle et que celle-ci doit être accompagnée pour aller plus loin.
-Que faut-il penser de la réunion récente du Chef du gouvernement consacrée au tourisme qui est une véritable première sachant que ses prédécesseurs n’ont jamais débattu de ce secteur ?
-Les professionnels ne peuvent que se féliciter de cette mobilisation inédite au plus haut niveau du gouvernement et qui révèle une véritable prise de conscience sur l’extraordinaire potentiel économique à court-terme du secteur touristique.
La crise nous a en effet montré que le secteur du tourisme contribue beaucoup plus à notre économie que ce que peuvent laisser entendre certains chiffres censés résumer sa part dans le PIB.
Pour mieux comprendre sa véritable contribution, il n’y a qu’à voir le nombre de métiers connectés directement ou indirectement au tourisme qui ont été impactés pendant deux ans alors que dans l’imaginaire collectif complètement faux, notre industrie ne serait portée que par l’hôtellerie.
Derrière un hôtel, il y a en effet des agriculteurs qui fournissent des fruits et légumes, des éleveurs, des pêcheurs, des artisans qui fabriquent des tagines et des théières, des agences de communication qui vendent la destination ou le produit…
Cette multitude d’écosystèmes qui font travailler beaucoup de corps de métiers sans parler des contributions fiscales générées par chaque prestation touristique (hébergement, restauration …) ne sont la plupart du temps pas tous recensés ou réglementés dans les métiers du tourisme ou dans la plus-value économique apportée par le secteur.
C’est donc l’occasion de travailler avec les acteurs publics pour faire en sorte que ces emplois indirects se développent dans le tourisme rural, médical, sportif et dans beaucoup d’autres niches qui permettront d’avoir un développement plus équitable dans chacun de nos territoires (montagne, désert, mer…).
-Contrairement aux prévisions pessimistes qui tablaient sur un retour à la normale qu’en 2025, votre optimisme montre que la situation a totalement changé plus vite que l’on ne s’y attendait ?
-Tous les experts ont revu leurs prévisions avec un agenda de reprise plus court que ce qui était prévu mais pour les pays qui se donnent les moyens.
S’il convient d’être optimiste, il faut rappeler que le mois dernier, nous étions à seulement 30% de taux d’occupation concentré lors des week-ends alors que le reste de la semaine, les hôtels étaient vides.
Tout cela pour dire qu’il faut relativiser l’euphorie actuelle et que celle-ci doit être accompagnée pour aller plus loin.
Nous avons du retard par rapport à certains concurrents comme la Turquie ou Dubaï qui ont récupéré en 2021 la même activité que 2019 parce qu’ils ont investi dans la promotion et leur réseau aérien.
Ceux qui ont récupéré 50% du trafic en 2021 vont retrouver les chiffres de 2019 à la fin de 2022. Le Maroc, par contre, a été handicapé par la fermeture de nos frontières les premiers mois de 2022 et par les mesures drastiques où il fallait à la fois un test PCR et un pass vaccinal.
Aujourd’hui, nous devons rattraper le temps perdu et comme je vous l’ai dit, la célérité du retour sera liée au développement de notre réseau aérien qui progresse mais qui est encore beaucoup trop limité pour démentir les pronostics pessimistes de retour à la normale.
-Quid des prévisions de 13 millions d’arrivées à la fin de 2023 ?
-Sachant que le Maroc a une très bonne image à l’international pour sa gestion exemplaire de la crise et que la demande pour notre pays ne se dément pas, le levier de l’aérien permettra de créer un cercle vertueux qui pourrait réserver bien des surprises en termes d’arrivées au terme de l’année prochaine.
-L’objectif ministériel d’atteindre les 26 millions de touristes dès 2030, soit doubler le chiffre de 2019, est par conséquent tout à fait envisageable ?
-Selon moi, il est difficile de se prononcer aujourd’hui sans véritable étude et sans que la situation ne soit complètement stabilisée. Je pense que notre priorité, aujourd’hui, est surtout de rattraper notre retard et de mettre les capacités aériennes.
Si nous mettons tous les moyens nécessaires pour accompagner le développement du secteur, alors, tous les champs du possible pourront être envisagés.