-Nos lecteurs sont curieux pour vous connaître. Brièvement, qui êtes-vous ?
Un Algérien âgé de 56 ans. Un universitaire, qui exerce à l’hôtel de Beni-Abbès, un établissement public de tourisme, en qualité de directeur.
-Vous avez décidé de célébrer le 60e anniversaire de l’Indépendance au sommet du Kilimandjaro ? Quelle idée géniale et courageuse…
Le choix du mois de juillet 2022 pour escalader le plus haut sommet d’Afrique n’était pas fortuit. J’ai tout mis en œuvre pour concrétiser mon projet. Sans divulguer mon obsession, à ma manière, j’ai décidé de célébrer le 60e anniversaire de l’Indépendance de notre pays.
Mon hommage s’adresse exclusivement aux chouhada, les authentiques moudjahidine et patriotes qui se sont sacrifiés pour libérer notre patrie du colonialisme français, et bien entendu à mes jeunes compatriotes. J’ai fait flotter notre emblème national sur le toit de l’Afrique, une fierté. J’ai eu une pensée pour le peuple palestinien pour leur combat et leur résistance, en hissant leur drapeau au sommet du Kilimandjaro.
-Etes-vous le premier Algérien à avoir escaladé ce monument naturel ?
Ce que je peux vous affirmer, le premier Algérien dans ma catégorie d’âge. Mais j’ignore, si un Algérien m’avait précédé en escaladant jusqu’au plus sommet du Kilimandjaro.
-Comment se définit le Mont du kilimandjaro ?
C’est une montagne géante qui se trouve au nord-est de la Tanzanie. Elle se compose de trois volcans endormis, en l’occurrence le Shira à l’ouest (3962 m) ; le Mawenzi (5149 m) et le Kibo qui se trouve entre les deux, avec son Pic Uhuru qui atteint 5895 m. Le Kilimandjaro figure sur la liste des sept sommets les plus élevés dans le monde. Je citerai l’Everest (8849 m) ; l’Aconcagua (6962 m) ; le Denali (6190 m) ; l’Elbruz (5643 m) ; le Vison (4897 m), le Carstenz (4884 m).
-Vos compatriotes s’interrogent sur vos sentiments dès que vous avez atteint le sommet ?
Sincèrement, c’est un sentiment qu’il m’est impossible de décrire. Les sensations sont trop fortes, la fierté, la joie, les larmes. Néanmoins, c’est une réussite, une découverte de soi, mais un stimulateur et une motivation pour se projeter vers d’autres défis.
-Pourtant il faut souffrir pour atteindre ce but. Comment avez-vous organisé cette expédition ?
J’ai pris attache avec un guide local. Grâce aux réseaux sociaux, j’ai eu moult échanges avec lui, afin de recueillir toutes les données pour mon expédition. Sachez que vous pouvez atteindre le sommet du Kilimandjaro, vous avez le choix pour emprunter différentes voies selon le nombres de jours. Lemosho (9 jours) ; Machame (7 jours) ; Mongai (6 jours) ; Marangu (4 jours). J’avais opté pour la voie du Marangu. C’était court certes, mais extrêmement compliqué en terme de dénivelé, les changements quotidiens importants étaient une véritable torture. Je l’ignorai au départ. Je n’étais pas seul. En plus du guide local, mon équipe était constituée d’un cuisinier et de deux porteurs. J’avais opté pour une ascension privatisée, pas en groupe, afin d’augmenter mes chances de réussite pour mon expédition.
-L’ascension s’est donc déroulée par étape avant d’arriver au sommet du Kilimandjaro ?
Nous avons entamé notre ascension à l’entrée du Parc Marangu gate. Il fallait atteindre le Mandara Hut (2700 m d’altitude). Nous avons traversé la forêt, au milieu des lichens et des fougères géantes. Etrangement, à certains endroits, les racines des arbres donnaient au terrain un relief particulier. J’étais chanceux. J’ai pu voir quelques singes bleus (blue monkeys) s’approchaient de moi. Au bout de 6 heures de marche ; nous arrivons à Mandara Hut. Un site niché au milieu de la forêt. Nous passons la nuit après avoir consommé un délicieux dîner, soigneusement préparé par le cuisiner.
Le guide m’annonce alors que nous devons continuer à marcher jusqu’à une altitude de 3100 m et revenir vers le Mandara Hut. C’est une obligation pour s’acclimater à la haute altitude. Le lendemain vers 9h, c’est le départ de la deuxième étape. Nous quittons la forêt et descendons au milieu des champs. Nous découvrons quelques ruisseaux et des cascades. Le paysage est d’une rare beauté. Face à nous, le sommet Kibo trône fièrement. Le site d’Horombo (3720 m) est atteint en fin de journée. Nous voilà au sein d’un cadre enchanteur, bien au-dessus des nuages. Il y a des mouvements de personnes venues des différents coins de la planète, une animation humaine.
Les rencontres avec les trekkeurs lors des croisements entres eux, sur le chemin. L’acclimatation commence juste après notre installation et un parcours à faire jusqu’à 4100 m, avant de redescendre à notre refuge (3720 m). Avant d’atteindre le Mont Kibo (4720 m), nous randonnons dans un immense désert. Les étendues de cailloux jonchent notre itinéraire. Cette étendue s’appelle La Saddle. Le regard du sommet nous humilie déjà. Le chemin pour aller à sa rencontre s’offre à nous. Après 8 heures de marche, le Kibo (4720 m) est atteint. Un léger dîner constitué de soupe et de fruits est proposé. Il faut aller se coucher vers 18h. L’ascension finale est prévue pour demain.
Le réveil a eu lieu vers minuit. L’obscurité nous empêche de prendre connaissance du chemin à emprunter. C’est un relief qui démoralise les téméraires quand il fait jour. Un ruse du guide. C’est une pente de plus en plus raide. Au fur et à mesure que nous escaladons la pente, l’air commence à se raréfier. Quelques heures de marche après notre départ à minuit, Guillman’s Point (5685 m) est atteint. Très dur. Après la rupture de mon petit stock d’aliments et de l’eau, je me suis mis à ramasser des morceaux de glace pour «les manger».
Des moments difficiles à supporter. Les couleurs de l’aurore embrasent le ciel. Un magnifique spectacle est offert par la nature. Courageusement, en dépit de tous les aléas, nous continuons à gravir mètre par mètre l’ascension lentement, pour ne perdre connaissance. La distance entre le sommet, l’Uhuru Peak et nous s’amenuise au fur et à mesure de notre lente montée. Nous y sommes arrivés au sommet de l’Afrique, une altitude de 5895 m. Au sommet, notre vue porte sur plusieurs kilomètres. Notre corps ne peut pas supporter longtemps la rude température. Un risque pour l’être humain. Il nous faut juste quelques poignées de secondes au sommet avant d’entamer la descente pour rejoindre Kibo Hut, afin de reprendre un peu de forces.
Un dîner et une nuit de sommeil nous attendaient à Horombo Hut. C’est une étape complexe qui aura duré 14 heures de marche. Je ne vous cache pas que la descente m’aura permis de savourer mon exploit personnel. Cela ne m’empêche de vous révéler que j’avais failli abandonner à deux reprises. Le guide local m’avait d’ailleurs conseillé de m’arrêter, en raison de la dégradation de mon état physique. Etant en plus, un hypertendu, j’étais au bord de l’asphyxie. Ma détermination et mon rêve m’avaient poussé à continuer dans la souffrance, d’autant plus que l’oxygène manquait terriblement, un relief volcanique, des paramètres difficiles à supporter.
(Remise de l’attestation officielle de l’escalade au plus haut sommet du Kilimandjaro (5895 m) par l’administration du KPN )
-Un exercice dangereux. La préparation aura donc duré combien de temps ? Il faut s’habituer à respirer, à manger et à dormir peu, n’est-ce-pas ?
Mon expédition était prévue en 2020. J’avais tout préparé. La fermeture des frontières et la pandémie du Covid-19 m’ont contraint à reporter le voyage. Cela m’avait servi. J’ai continué à m’entraîner durant deux années, afin de réaliser mon vœu, en célébrant le 60e anniversaire de l’Indépendance au sommet du Kilimandjaro, qui constitue selon moi un vrai défi physique et mental, à cause de ses multiples contraintes, notamment, le manque de sommeil, le grand froid avec une température négative à partir de 4000 m d’altitude, alors qu’au-dessus de 5000 m, rien ne vit, avec un thermomètre qui se fige à moins 15°, le manque d’eau, il fallait avoir de la force pour se rapprocher des rares sources le log de notre chemin, afin d’étancher la soif, la distance est trop longue au milieu des montagnes, s’ajoutent les vomissements, les maux de tête, la perte d’appétit, un moral affaibli,…Pour atteindre le toit de l’Afrique, en plus d’une volonté tenace et de l’ambition, il faut évacuer de sa tête le doute et la peur de mourir loin de chez soi.
-Que doit faire un Algérien pour partir en Tanzanie et commencer son aventure titanesque ?
Une préparation physique intense, de surcroît mentale, des entraînements de gladiateurs très durs pour faciliter l’oxygénation des muscles, des exercices dans la piscine sous l’eau. Il faut lire et s’informer sur le voyage, et surtout comment se sentir avant d’affronter le Kilimandjaro d’abord et ce qu’exige l’escalade de la montagne géante jusqu’à l’arrivée au sommet le plus haut. Il faut se concentrer durant le parcours, rester en cohésion totale avec le guide local et établir une compréhension avec les membres de l’équipe. Afin d’immortaliser ces moments magiques et inoubliables, j’avais confié mon appareil photo au guide, un habitué de l’exercice, pour ne pas me détourner de mon objectif principal. Un petit geste seulement nous affaiblit. Il faut rester mobiliser physiquement et mentalement pour atteindre le sommet. Moins de gestes et pas de paroles.
-Y a-t-il un risque si quelqu’un veut tenter l’expérience ?
Il faut être un passionné des escalades de montagnes. Autrement, il faut impérativement subir une préparation volumineuse, physique et moral, avant d’entamer l’aventure.
-Vous déjà avez escaladé le sommet le plus élevé de l’Afrique du Nord ? Quand ?
Je n’avais pas une idée précise, sur ce qu’il faut pour escalader une grande montagne. J’y suis allé sans préparation. Bref. En effet, j’avais escaladé le plus haut sommet de l’Afrique du Nord, le Mont Toubkal au Maroc, qui culmine à 4167 m. C’était le 23 septembre 2018. Je me rends compte que c’était un risque que j’avais pris. Grâce à un ami à moi, Mahdi Amezzane, que je lui dois beaucoup, j’étais arrivé difficilement à atteindre le sommet, toujours avec un emblème de mon pays sur mes épaules.
-A présent vous venez d’escalader le sommet le plus haut d’Afrique. Avez-vous un autre objectif ?
Mon prochain objectif incha’Allah, je vais m’attaquer au plus sommet d’Europe. Il s’agit du Mont Elbruz, 5643 m, qui se trouve au nord du Caucase en Russie. Je commence déjà à me documenter sur cette destination, ses spécifiés, ses caractéristiques et surtout les contraintes. Une préparation adéquate dépendra de toutes ces informations. Je veux m’imprégner de tous les aspects de cette destination. En amont, c’est un vrai atout qui va accroître le degré de réussite de l’expédition.
-Après nous avoir expliqué votre aventure du Kilimandjaro. Avez-vous l’intention d’écrire un livre sur vos deux expéditions déjà réalisées ? Avez-vous l’intention de vulgariser ce type de pratique sportive aux jeunes Algériens ?
Écrire un ou plusieurs livres sur mes expéditions, pourquoi pas ! Ce sera des ouvrages pour tous les aventuriers passionnés par ce sport. Je relaterai ma modeste expérience avec tous les petits détails, en encourageant le lecteur ou la lectrice, qui devra consentir des sacrifices, notamment comment se surpasser, s’automotiver et enfin se fixer des objectifs, pour atteindre les plus hauts sommets du monde. Une aventure redoutable, à risque, qui mérite d’être vécue.
-Je vous laisse le soin pour conclure cet entretien, sachant que vous portez encore les stigmates de cette escalade du Kilimandjaro ?
Je dois d’abord vous préciser, que de nombreuses personnes, croisées dans mon chemin, escaladent le Mont du Kilimandjaro, mais rares sont les aventuriers qui atteignent le sommet qui s’élève à 5895 m d’altitude. Chacun atteint une altitude selon sa résistance. Tout le monde doit être accompagné par un guide local. Il y a une administration du Parc qui remet des attestations à chacun en précisant sur le document, le sommet atteint par l’aventurier du Kilimandjaro. C’est du tourisme aussi. Pour conclure, je dirai que l’escalade est un sport en plein développement dans le monde. Il s’agit d’un sport moderne et nouveau. Il permet d’être très proche de cette nature qui n’est pas accessible pour tout le monde.
Pour ma part, ces dernières années, j’ai remarqué que les Algériens s’intéressent de plus en plus aux randonnées. C’est prometteur et encourageant. Ce sport contribue à la découverte et la préservation de l’environnement naturel d’une part et d’autre part à l’existence des richesses culturelles, culinaires, les variétés de la faune et la flore, que recèle chaque montagne.
Mon but consiste à promouvoir ce sport auprès de mes jeunes compatriotes tout simplement. Je profite de mon congé pour organiser ces missions à mes frais. A Beni Abbès (Béchar), il fait très chaud en été. L’activité diminue fortement au Sud durant l’été. C’est le moment pour aller à la découverte des sommets du monde. On se cultive aussi.
Propos recueillis par M’hamed Houaoura
