« Nous ne craignons en aucun cas la concurrence. Et pour une excellente raison : il y a de la place pour tout le monde… », sourit Guillaume de Saint Lager, vice-président d’Orient Express, au sein du groupe hôtelier Accor. C’est à lui qu’incombe la charge de faire renaître de ses cendres l’Orient Express opéré par la Compagnie internationale des wagons-lits et la SNCF jusqu’en 1977. Cette année-là, la SNCF abandonne l’exploitation de la ligne mythique Paris-Istanbul. Le train est jugé dépassé, ringard et trop lent. Désormais, c’est l’avion qui est à la mode. Il faut dire que l’Orient Express de cette époque n’a plus grand-chose à voir avec le train qui traversait le continent en 1883, ni même avec celui du crime imaginé par Agatha Christie en 1934.
En fait, les voitures qui composent le train ont successivement été habillées dans le style Napoléon III (1883-1922) puis dans le style Art déco jusqu’à la fin des années 1960. Jugés obsolètes, les marqueteries et les cuivres sont recouverts de Formica, matériau jugé beaucoup plus moderne. « On oublie cette dernière évolution pas franchement intéressante… Ce que nous allons faire, c’est donner un nouveau souffle dans l’esprit du train de la grande époque, le style Art déco apporté par Lalique », explique l’architecte Maxime d’Angeac, chargé par Accor d’habiller ce train du futur revenu du passé. « A l’heure où l’avion est décrié car jugé trop polluant, le train est aussi une autre manière d’appréhender l’idée du voyage. Il permet de contempler, de rêver et de prendre du temps pour soi », estime Guillaume de Saint Lager.
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Fin 1977, la SNCF possède encore une quarantaine de voitures estampillées Orient Express : des voitures-lits, des Pullman (voitures-salons grand confort), des wagons-restaurants… Sauf que l’entreprise nationale décide de s’en défaire. Dans un premier temps, un homme d’affaires suisse nommé Albert Glatt reprend 15 des voitures les mieux conservées. Il entend relancer la ligne historique sous le nom de Nostalgie-Istanbul-Orient-Express… Mais c’est un fiasco. Le train est, pense-t-on alors, envoyé à la ferraille. Sauf qu’il restera à rouiller lentement à la frontière entre la Pologne et l’Union soviétique, dans l’actuelle Biélorussie.
Il y sera patiemment dépecé de ses cuivres et de ses boiseries jusqu’en 2015. Cette année-là, Arthur Mettetal (chercheur spécialiste de l’histoire industrielle) est mandaté par la SNCF pour retrouver les éventuelles dernières voitures de l’Orient Express. Il les identifie grâce à Google Maps. Rachetées au poids de la ferraille, elles vont être entièrement restaurées par le groupe Accor en prévision de 2024. « Il ne restait plus grand-chose à l’intérieur… à part les verreries Lalique dont les ferrailleurs et les pillards n’avaient aucune idée de la valeur », poursuit Maxime d’Angeac, missionné pour réaliser le futur palace roulant. L’idée n’est pas de reconstruire un train identique à celui qui est aujourd’hui révolu, mais d’utiliser chaque voiture originelle et de lui rendre son aspect d’hôtel de luxe sur rails.
« Tout sera fait dans le respect de l’esprit du train Art déco, mais revu au goût du jour en fonction des exigences de confort moderne. Nous sommes en train de repérer les meilleurs artisans d’art français : verriers, ébénistes… Chaque cabine intégrera une banquette-lit pour deux ainsi qu’une salle d’eau. Il ne sera plus question d’avoir un seul WC en bout de voiture », détaille Maxime d’Angeac.
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Accor ne donne aucun chiffre, mais il se murmure que la rénovation de chaque voiture avoisinerait les 2 millions d’euros, remise aux normes comprise. Si le train sera inauguré à l’occasion des Jeux olympiques de Paris en 2024, les premiers billets pourront être réservés à partir de l’automne 2023. Le prix de base devrait toutefois tourner autour de 4.000 euros la nuit en pension complète.
Avec une tarification quasi similaire, l’Orient Express modernisé par Accor va venir concurrencer de plein fouet le Venise-Simplon-Orient-Express (VSOE) opéré par le groupe Belmond depuis 1982. Logique : celui-ci ne désemplit pas ! Sur presque tous les continents, ce voyagiste de luxe commercialise des croisières en train historiques. Tout commence en 1977 quand le fondateur de l’entreprise, l’Américain James Sherwood, rachète des voitures Orient Express à la SNCF.
Malin, il vient d’acquérir l’hôtel Cipriani, à Venise, et espère vendre des trajets entre les deux villes les plus romantiques du monde : Paris et la Sérénissime. Sauf que la SNCF lui revend un train qui nécessite plus de quatre ans de remise en état… Son pari se révèle toutefois finalement gagnant : le train est pris d’assaut par les tourtereaux du monde entier.
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Aujourd’hui, il faut généralement réserver un an à l’avance pour un voyage allant de 2.920 à 4.120 euros par personne pour une nuit. Devant le succès, Sherwood étend le parcours jusqu’à Calais, puis Londres, avec le rachat du British Pullman London-Folkestone, un train de jour grand luxe. Tel un paquebot, le VSOE modifie parfois son parcours pour d’autres destinations comme Paris-Rome, Prague-Paris, Paris-Budapest, et même une fois par an le trajet historique Paris-Istanbul en cinq jours… Prix minimal du voyage : 17.500 euros par passager.
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Mais c’est au début des années 2000 que Belmond imagine de nouvelles croisières sur rails. La société rachète le Royal Scotsman qui, en partant d’Edimbourg, effectue une boucle à travers l’Ecosse le temps d’une croisière de deux nuits. L’avantage de ce voyage sur un petit territoire : une alternance de roulage et d’arrêts pour de nombreuses excursions comme la visite d’une distillerie de whisky, des randonnées dans les Highlands ou une séance de ball-trap.
En 2017, Belmond a lancé, en partenariat avec PeruRail, l’Andean Explorer qui relie les villes d’Arequipa, Cuzco et celle de Puno, sur les rives du lac Titicaca, en traversant le plateau des Andes à plus de 4.800 mètres d’altitude. Quant à l’Extrême-Orient, il n’est pas oublié puisque l’Eastern & Oriental Express part de Bangkok, en Thaïlande, pour rejoindre Singapour à travers la Malaisie…
© Richard James Taylor
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