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Le monde n’est plus ce qu’il était
Ecrivain talentueux, parfaitement Ă l’aise dans l’art de provoquer ses semblables, Michel Houellebecq qui publie cette semaine son dernier ouvrage : « AnĂ©antir » n’en finit pas de croquer la sociĂ©tĂ© contemporaine, sur le ton corrosif et dĂ©sabusĂ© qui lui est cher. Tourisme et voyage sont mis en pièces… l’analyse de Josette Sicsic.
Michel Houellebecq publie cette semaine son dernier livre intitulĂ© “AnĂ©antir” – Photo Wikipedia – Fronteiras do Pensamento | Luiz Munhoz
Michel Houellebecq n’est pas exactement un voyageur.
Encore moins un écrivain voyageur. La mise à distance qu’il observe vis-à -vis de tous les phénomènes sociétaux, ne l’encourage pas à multiplier les vols intercontinentaux.
Au contraire. Plus enclin à se protéger, il les considère avec le cynisme et parfois le désespoir de ces nihilistes qui ne se font plus guère d’illusions sur le futur de l’humanité et de la planète.
Un poncif aujourd’hui. Mais qui l’était moins il y a 25 ans quand Houellebecq publiait ses premiers ouvrages. Pour lui, les dés étaient jetés. L’humanité avait perdu la partie. A moins de se régénérer en une tribu supérieure de transhumains qui, quelque part, sur un îlot volcanique, maintiendraient un semblant de vie intelligente…
La possibilité d’une île, œuvre importante dans la carrière du romancier, porte une lueur d’espoir et consacre bel et bien Lanzarote comme l’un des lieux de villégiature fétiche de l’écrivain qui lui dédie roman et poèmes plus ou moins inspirés.
Le tout sur fond de noirceur, celle sans doute de la lave des volcans de l’îlot canarien, mais l’humour et la tendresse en prime : « Playa Blanca. Les hirondelles. Glissent au milieu de la nature. Dernier jour de villégiature. Transfert à partir de l’hôtel. Lufthansa. Retour au réel. »
Un village club « new age »
… D’un roman l’autre, c’est surtout à la poursuite du plaisir, sexuel s’entend, que l’écrivain parcourt le plus de kilomètres.
C’est ainsi que, dans Les particules élémentaires, il sillonne la France et échoue en Charente maritime, dans un drôle de village de vacances New age où les résidents passent plus de temps à faire l’amour qu’à jouer au volley ball.
Un chapitre écrit au vitriol qui lui vaut un procès qu’il perd, et le condamne à remiser ses fantasmes touristico érotiques sur les rayons de son imagination.
Néanmoins, l’écrivain qui avait fréquenté le site et dirigeait des ateliers d’écriture, n’avait pas complétement menti. Il avait bien senti en filigrane le potentiel énorme que représente un positionnement sur le « sun and sex » pour les clubs de vacances.
Dans la Carte et le territoire, autre décor. C’est à travers la verte Irlande que Michel Houellebecq va cuver sa déprime. Mais, c’est dans Plateforme, qu’il nous livre sa plus belle leçon de tourisme et gagne ses galons d’écrivain expert en développement et prospective du voyage.
Car, dans ce livre magistral publié en 2001, il défend ouvertement cette fois la cause du tourisme sexuel. Ce qui lui a valu bien des critiques, et il aborde un sujet majeur pour ce millénaire : les risques terroristes.
Plateforme : une prémonition
L’ouvrage a un titre banal : « Plateforme ». On est quelque part dans les années 2000. Michel un petit fonctionnaire du ministère de la culture, part passer une semaine en Thaïlande, sur un circuit aventure intitulé Tropic Thaï.
Acheté auprès de Nouvelles frontières, un voyagiste qu’il dépeint avec un humour pour le moins grinçant, le circuit franchit allégrement toutes les étapes de la caricature. Avion, arrivée suffocante à Bangkok, programme folklorique de pacotille, compagnons de voyages affligeants de maladresse et d’humanité, body-massages en catimini… la carte postale houellebecquienne atteint des sommets de réalisme.
Mais, dans les coulisses de la carte postale, le romancier se révèle également d’une pertinence et d’une culture éblouissante sur la première industrie du monde.
Non seulement les mécanismes de l’hôtellerie et des villages de vacances sont démontés avec adresse, mais, à travers la description de réunions marketing au sein d’un grand groupe hôtelier, le groupe Accor qu’il déguise en groupe Aurore, il évoque les aspirations et les postures comportementales des touristes, via l’audit d’un sociologue convoqué à une réunion de prospective. « Le type avait le front dégarni, écrit l’auteur, les cheveux noués en catogan, il portait un jogging Adidas, un tee shirt Prada, des Nike en mauvais état … »
Mais, surtout, Houellebecq de citer les prévisions du dit sociologue qui énonce avec gravité des poncifs comme : « En l’an 2000, on se veut nomade. On part en train ou en croisière… à l’ère de la vitesse, on redécouvre les joies de la lenteur, de l’éthique, l’accomplissement individuel, solidarité, passion, l’authenticité, le sens du partage… ».
La terminologie mise dans la bouche de l’expert en comportements touristiques, est un copié-collé exact de la phraséologie dominante depuis plusieurs décennies dans les stratégies de marketing touristique.
Puis sont également abordés les finances, les prévisionnels, les plans de rénovation, les catalogues … « Nous avons le savoir-faire, nous avons l’expérience… Imaginez des concepts comme Ibis et Formule 1 déclinés à l’échelle de la Chine » explique un hiérarque du groupe.
Et sans même changer les noms des protagonistes de la multinationale, l’auteur, comme à son habitude, mélange réalité et fiction et cite Paul Dubrule affirmant : « Le seul secret de la réussite sur un marché, c’est d’arriver à temps » !
L’islamisme en embuscade
Inutile de tergiverser, Michel Houellebecq a tout compris de la mécanique touristique. Mais, à la fin du dernier millénaire, alors que son leitmotiv concernant le tourisme sexuel, se réalise enfin dans le roman à travers la construction d’un village de vacances baptisé « Aphrodite », signé par le groupe Aurore, l’auteur réussit un coup d’éclat en décrivant les risques que courent les étrangers venus coloniser les plages tropicales, et la catastrophe à laquelle le monde occidental s’expose en faisant fi de la menace islamiste.
Plateforme en effet, se conclut par un drame terrible venu de la mer qui, à coup de rafales de mitraillette, décime les malheureux clients du tout nouveau village de vacances venus goûter au plaisir d’un séjour sur une île paradisiaque.
En quelques secondes, l’attentat terroriste augmenté de bombes, réduit en cendres le dernier né de la chaîne d’hébergements, idylliquement situé dans ce pays qui a tout misé sur le tourisme : la Thaïlande.
Prémonition ? Lucidité ? Quelques pages suffisent pour démontrer l’horreur à laquelle les Occidentaux ne croyaient pas encore vraiment s’exposer au début des années 2000 et qui, hélas, deviendra leur quotidien, partout dans le monde et selon le même scénario : à Bali en 2002 ou plus tard sur la plage tunisienne de Sousse en 2015, sans compter le drame des Twin Towers à New York qui n’avait pas encore eu lieu, à l’heure où paraissait le roman.
Décidément, comme dans « Soumission » et « Sérotonine », Michel Houellebecq s’est montré visionnaire et a parfaitement compris les dangers qui menacent l’homo turisticus. Il a fait de Plateforme un ouvrage incontournable apportant plus à l’industrie touristique que n’importe quel plan marketing et étude prospective.
Sources : Les particules élémentaires. Lanzarote. La possibilité d’une île. Plateforme/ Editions J’ai lu.
D’hier à demain
On a toujours besoin d’écrivains transgressifs qui, loin d’épouser les contours du conformisme ambiant, n’hésitent pas à se projeter dans un « après » totalement innovant dans lequel la fiction rattrapera la réalité.
Michel Houellebecq, honni des uns, adulé des autres, en fait partie. Fin explorateur de la société et de ses multiples travers, il est aussi un décrypteur des bas-fonds de l’âme humaine et de ses non-dits.
Il ne voit donc aucun obstacle à la mise en scène d’un tourisme dont le but avoué est la quête de rencontres amoureuses ou disons plus franchement, sexuelles. Pourquoi pas ? Le « sea sun and sex » fait toujours partie de la panoplie de l’offre touristique, et derrière une terminologie faite de partage, rencontre, convivialité, se cachent et se cacheront toujours bien des désirs inavouables.
Mais, le romancier hélas met aussi en scène l’horreur d’un attentat dans un lieu de vacances et ce drame s’est répété et se répétera peut-être plus souvent qu’on ne l’imagine. D’où l’immense besoin de sécurité des touristes d’aujourd’hui et de demain. Car, n’oublions pas la célèbre phrase de l’écrivain au début de l’après-midi : « Le monde de demain sera celui d’aujourd’hui en pire ! »
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.
Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.
Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com
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