REPORTAGE – Contexte épidémique, souci environnemental… Malgré la crise et les mutations qui secouent le secteur, ces jeunes Français apprennent sur les bancs de l’école à inventer le tourisme de demain. Le Figaro est allé à leur rencontre.
«Est-ce que, selon vous, le Covid-19 va nous faire voyager autrement ?» La question est posée à une quinzaine d’étudiants du master Management des destinations de l’école de tourisme Excelia, à La Rochelle. Le sondage tourne au débat. Les élèves échangent, argumentent, sous l’œil attentif de Sophie Lacour. Cette experte en prospective touristique et directrice du cabinet Advanced Tourism leur assure en ce lundi de novembre un premier cours sur l’innovation. L’affirmative semble l’emporter haut la main.
Difficile de faire l’impasse sur la crise sanitaire lorsque l’on se destine aux métiers du tourisme. Alors que le secteur tourne au ralenti depuis deux ans du fait des fermetures de frontières, les étudiants ont-ils encore la foi ? Les mesures sanitaires ont privé nombre d’entre eux de stages ou de projets pédagogiques pourtant cruciaux dans leur formation. Amenés à exercer dans quelques années dans des hôtels, offices de tourisme ou collectivités territoriales, parfois à des postes de dirigeants, ils sont en première ligne face aux changements qui secouent le secteur. Tourisme responsable ou de proximité, souci environnemental, lutte contre la surfréquentation… Autant de préoccupations qui redéfinissent le voyage et qu’il faut aujourd’hui prendre en compte.
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L’envie de voyager est toujours là, le secteur recrute et les acteurs sont sensibles à la quête de sens exprimée par la jeune génération
Pascal Capellari, directeur des écoles spécialisées du groupe Excelia
Le Covid, une «chance» de réinventer le voyage
«Il n’y a pas de crise des vocations, assure Pascal Capellari, directeur d’Excelia. L’envie de voyager est toujours là, le secteur recrute et les acteurs sont sensibles à la quête de sens exprimée par la jeune génération.» Si les inscriptions sont stables par rapport aux précédentes années, le nombre de diplômés d’un BTS en tourisme (bac +2) poursuivant en bachelor (bac +3) a augmenté lors des deux dernières rentrées et ce, malgré le contexte. Le campus rochelais accueille quelque 600 étudiants, auxquels s’ajoutent une cinquantaine d’élèves dans la nouvelle antenne de Tours ouverte en septembre 2020. L’école est la seule en France à détenir la certification TedQual. Délivrée par l’Organisation mondiale du tourisme (dépendante de l’Onu), elle atteste de la qualité des programmes de formation et de leur adéquation avec les besoins du marché mondial.
Les mutations qui touchent ce marché ne semblent guère décourager les étudiants rencontrés par Le Figaro. «Travailler dans le tourisme, j’y pense depuis tout petit», affirme Rémy, inscrit en première année de master à Excelia. «Le secteur est par définition dépendant des crises, mondiales ou locales. Il faut savoir s’adapter en permanence», insiste l’élève de 21 ans. Déjà diplômé d’un bachelor à l’école hôtelière Vatel, à Bruxelles, il a souhaité poursuivre ses études avec une formation de tourisme afin d’avoir une «vision plus généraliste du secteur». Et de dessiner les contours de l’hôtellerie de demain : «L’approche clientèle va changer et mettre l’accent sur la proximité et la personnalisation. Les hôtels devront se distinguer, non plus par le prix, mais par le service.» Une envie de sur-mesure que les acteurs du tourisme doivent plus que jamais intégrer afin de répondre aux besoins des voyageurs.
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Écologie, proximité… Des enjeux en filigrane des formations
Les élèves du BTS tourisme de l’École nationale de commerce (ENC) Bessières Paris (le seul public de l’académie de Paris), tout juste bacheliers, n’ont pas encore mûri leur projet professionnel, mais le son de cloche reste le même. «S’il faut reconnaître un point positif à la crise sanitaire, c’est qu’on a enfin pris le temps de découvrir sa région et son pays. C’est une habitude qu’il faudra garder même quand l’épidémie sera passée», affirme Louna, actuellement en stage dans une agence de voyages. Et son camarade Léo de rebondir : «Le voyage, ce n’est pas seulement Tahiti ou les Seychelles ; c’est aussi les bords de Loire, la France rurale… Pas besoin de partir à l’autre bout de la Terre pour se dépayser !»
Les élèves doivent aussi composer avec les préoccupations environnementales qui préexistaient à l’apparition de la pandémie. Chez Excelia, la thématique est abordée dès la rentrée en master 1 dans le cadre d’un cours justement intitulé «Nouvelles tendances et enjeux du tourisme», même s’il n’existe pas de cours estampillé «tourisme durable». «C’est un thème sous-jacent à toute notre formation. On en parle même dans les cours de comptabilité !», observe Dylan, Franco-Britannique en troisième année de bachelor, qui aimerait travailler dans la communication des destinations.
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Des cas pédagogiques pour se confronter au terrain
Pour être en phase avec les nouvelles tendances, les étudiants bénéficient de l’expertise de la quinzaine d’enseignants-chercheurs qui composent le centre de recherche d’Excelia. L’essor du voyage en solitaire chez les femmes, les attentes des voyageurs concernant la démarche environnementale des meublés touristiques… Autant de sujets d’études auxquels les élèves apportent leur contribution. Ce laboratoire a même été sélectionné par la région Nouvelle-Aquitaine pour accompagner la reprise du tourisme et de l’hôtellerie au printemps 2021.
La recherche, il en est question en master où les étudiants doivent rédiger un mémoire sur le thème de leur choix. Une tendance sort du lot : «Une grande partie des mémoires porte sur la place de l’habitant dans l’offre touristique, rapporte Pascal Capellari. Cela traduit une volonté de les impliquer davantage dans la promotion touristique, d’en faire en quelque sorte les ambassadeurs de leur ville ou région.»
Les étudiants sont également confrontés au terrain lors de leurs stages et périodes d’alternances. À l’ENC, entre trois et quatre mois de stage sont prévus pendant les deux ans de BTS. Chez Excelia, en troisième année de bachelor, les élèves ont le choix entre l’alternance ou un stage de six mois. Ils planchent régulièrement pendant leur cursus sur des études de cas pédagogiques, parfois avec le concours d’entreprises. Début 2022, certains étudiants en master profiteront ainsi d’un voyage à La Gacilly, en Bretagne, pour aider l’entreprise de cosmétiques Yves Rocher dans sa stratégie de développement touristique du territoire.
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Un «réseau de formations d’excellence au tourisme»
Rapprocher davantage les étudiants et les entreprises du tourisme, c’est l’un des objectifs fixés par le gouvernement. Le 20 novembre 2021, le Premier ministre Jean Castex présentait un plan de reconquête du tourisme baptisé Destination France. Il prévoit, entre autres, la création d’un «réseau de formations d’excellence au tourisme». Attendu pour le premier trimestre de 2022, il devrait notamment s’appuyer sur la Conférence des formations d’excellence en tourisme (CFET) créée en 2015 avec le soutien d’Atout France (l’agence de développement touristique de la France) et qui regroupe notamment Excelia, l’UFR ESTHUA Tourisme et Culture d’Angers ou encore l’école hôtelière Ferrandi.
Objectif : «rendre attractives et visibles, auprès des étudiants et leurs familles, des entreprises et des territoires, les formations d’excellence fondées sur une filière du tourisme complète et intégrée». Le gouvernement souhaite créer 400 places de formation du niveau bac +1 à bac +5 d’ici à 2024. Un renouvellement des talents qui, selon Pascal Capellari, permettra à la France (pays le plus visité au monde) de garder son avance sur des destinations touristiques émergentes. Un défi que les étudiants sont prêts à relever. «On a tous une pierre à apporter à l’édifice», s’enthousiasme Louna.