Comment relancer le tourisme au Japon : l’importance d’une forte valeur ajoutée

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Relancer le tourisme au Japon

Avec la pandémie de Covid-19, le gouvernement japonais a pris un train de mesures visant à réduire grandement les déplacements à l’international et incitant les résidents à restreindre leurs déplacements sur le territoire. Mais au printemps 2022, les pouvoirs publics changent leur fusil d’épaule et prônent la reprise des échanges et des déplacements, voyages touristiques compris. Ils lancent alors un vaste programme de relance du tourisme couvrant une période allant jusqu’en octobre 2022. Concrètement, il s’agit d’une part de « subsides publiques d’aide au voyage sur tout le territoire national » où l’État subventionne les déplacements sur l’Archipel, et d’autre part d’un important assouplissement des contraintes à l’entrée du territoire, les touristes étrangers n’ayant plus à fournir de test PCR négatif ou faire établir de visa.

Ces initiatives ont dynamisé les déplacements tant au Japon qu’à l’international. Les données actuelles de l’Agence japonaise du tourisme indiquent une augmentation du nombre de nuitées de 71 % par rapport à l’année passée pour le même mois de septembre, soit un total de 3,832 millions de nuitées de ressortissants japonais en septembre 2022. Par ailleurs, sur la période allant de juillet à septembre, le montant des dépenses relatives aux voyages de ressortissants japonais sur le territoire national se chiffre à 5 300 milliards de yens (38 milliards d’euros), soit 2,3 fois la somme dépensée sur la même période en 2021. Selon les chiffres de l’Organisation nationale du tourisme du Japon, 490 000 étrangers sont venus visiter le Japon en octobre 2022, soit 2,4 plus qu’en septembre de la même année. Cependant, le nombre total de nuitées et les dépenses de voyage sur le territoire national par des ressortissants japonais en septembre 2022 restent inférieurs (respectivement de 5 % et 20 %) aux chiffres de septembre 2019.

Si la reprise est donc réelle, nous n’avons pas encore retrouvé les niveaux d’avant la pandémie et le nombre total de nuitées des touristes étrangers reste lui largement déficitaire (- 80 %).

La hausse des flux de voyageurs a également dynamisé la consommation et servi les entreprises. Suite à une forte demande, le budget initial de subvention aux voyages sur l’Archipel a vite été épuisé et les consommateurs n’ayant pu profiter de cette offre ont fait entendre leur mécontentement. Le nombre de vols internationaux, qui un temps avait été diminué de 90 %, a retrouvé à environ 40 % le niveau d’avant la pandémie. La reprise des croisières est également prévue. Dans le secteur du commerce de détail, la dépréciation du yen a eu des effets tangibles, les ventes de produits coûteux ont été fortes. Les grands magasins se sont efforcés d’améliorer leurs services en augmentant notamment le nombre de points de vente hors taxes, en renforçant l’accueil multilingue et en permettant que les produits achetés puissent être livrés aux hôtels. La reprise des échanges avec la Chine qui pourtant est le plus grand vivier de touristes ne semble pas être d’actualité, la huitième vague épidémique suscite certes des inquiétudes, mais la reprise du tourisme au Japon semble acquise et en bonne voie.

Les défis de l’après-Covid : un tourisme à forte valeur ajoutée

Le gouvernement est en train de reconsidérer son projet initial de promotion du « Japon, nation touristique » (2023-25). Il a annoncé son intention de maintenir les objectifs qu’il s’était fixés avant la pandémie, à savoir l’accueil de 60 millions de touristes et 15 000 milliards de yens (106 milliards d’euros) de consommation connexe d’ici 2030, mais le contexte économique et les besoins des consommateurs en matière de tourisme ont changé depuis la pandémie. Plutôt que d’escompter un retour à la normale, les futures mesures de promotion du tourisme devront identifier, prendre en compte et résoudre les différents problèmes et défis de l’après-Covid. Le plus urgent est de passer de la quantité à la qualité, c’est-à-dire de se tourner vers des formes de tourisme à forte valeur ajoutée.

Deux raisons peuvent être invoquées pour justifier la nécessité d’un tourisme à forte valeur ajoutée.

La première est la nécessité de s’éloigner du tourisme de masse traditionnel et d’augmenter les bénéfices par tête. Dans un contexte post-Covid, les touristes ont leurs exigences en matière de sécurité sanitaire. Afin d’éviter l’affluence et permettre la distanciation, il faut diminuer le nombre d’excursions et de visites, la baisse du taux de fréquentation des sites est donc inévitable. Afin de maintenir le niveau des recettes des périodes antérieures, le prix des tickets d’entrée individuels doit être augmenté. Le défi consiste à fournir des services et un supplément d’âme proportionnels à ces nouveaux tarifs.

Atelier de tressage de shime-nawa, une corde rituelle de sanctuaire shintô, au centre de fabrication d'ôshimenawa à Iinan, dans la préfecture de Shimane (photo avec l'aimable coopération de l'Association du tourisme de Shimane).
Atelier de tressage de shime-nawa, une corde rituelle de sanctuaire shintô, au centre de fabrication d’ôshimenawa à Iinan, dans la préfecture de Shimane (photo avec l’aimable coopération de l’Association du tourisme de Shimane).

Deuxièmement, il est nécessaire de sécuriser les bénéfices et d’améliorer la situation dans les entreprises. Il s’agit en l’espèce d’améliorer les conditions de travail et d’investir dans des équipements. Tout d’abord, de nombreux emplois ont été perdus dans le secteur du tourisme durant cette longue période où les résidents ont été incités à ne pas se déplacer. Dans l’hôtellerie par exemple, en août 2022 on comptait 510 000 employés, soit 20 % de moins qu’en août 2019 (selon les chiffres du ministère des Affaires intérieures et des Communications).

Par ailleurs, les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration sont, depuis le printemps 2022, en tête du classement des secteurs d’activité comptant le plus grand nombre d’entreprises en sous-effectif de main-d’œuvre (selon les chiffres de la Banque de données Teikoku). L’offre d’emploi dans ce type d’entreprises n’a donc pas encore porté ses fruits. L’hôtellerie et la restauration sont confrontés à des problèmes structurels difficilement surmontables, citons les bas salaires, les congés insuffisants et la pénibilité due à la durée du travail. Il est urgent d’améliorer les conditions d’emploi.

Intéressons-nous ensuite au problème de l’investissement. Avec la pandémie et le développement du tourisme DX, ou tourisme numérique, on a assisté à l’automatisation des caisses et de l’accueil, l’essor du paiement démonétisé et le recours à l’Intelligence Artificielle dans les foires aux questions. Ces technologies répondent à la demande des clients qui plébiscitent le sans contact, elles permettent aussi de pallier le sous-effectif de main-d’œuvre et, comme elles ne supposent pas d’investissements déraisonnables, leur introduction à grande échelle semble indispensable.

Pourcentage de personnel en sous-effectif, évolution mensuelle dans l’hôtellerie et la restauration

Classement des secteurs en sous-effectif (en octobre 2022)

Source : banque de données Teikoku

Qu’est-ce qu’un produit touristique à forte valeur ajoutée ?

Vous avez dit une offre touristique à forte valeur ajoutée ? La qualité des services au Japon pourrait certes être encore améliorée mais il est urgent de penser en termes de contenus. Ce point fait actuellement défaut. Il s’agit notamment de développer l’offre pour des séjours de courte durée, le multiactivités et un recentrage sur de la « koto-consommation » (koto signifie « chose »), c’est-à-dire le plaisir de vivre des expériences plutôt que de consommer des biens matériels. Le tourisme post-Covid implique de changer de paradigme. Avant, on visitait des sites historiques et touristiques célèbres. Aujourd’hui, le séjour est plutôt long, centré sur un lieu précis et entrepris avec l’idée de se ressourcer. Désormais, les visiteurs accordent plus d’importance à la façon dont leur séjour va se dérouler. Avec la qualité des contenus proposés qui devient un facteur décisif, il faut offrir la possibilité d’une expérience unique, ancrée dans un terroir.

Prenons l’exemple du tourisme d’aventure (TA) ou tourisme « Découverte » sur lequel l’Agence du tourisme a mis l’accent ces dernières années. C’est une formule qui combine découverte de sites naturels, activités physique et culturelles. Les voyageurs veulent de l’émotion, ils souhaitent apprendre, comprendre et élargir leur horizon, ils espèrent vivre une expérience instructive ne se cantonnant pas à une sortie plaisante. Pour répondre à ces attentes, il faut pouvoir offrir des contenus uniques et denses, rendre possible la présence d’un guide capable d’accompagner les voyageurs tout en restant à leur écoute et sachant s’adapter.

C’est un défi d’importance, tant les obstacles au développement de cette offre touristique sont nombreux, les sites naturels et historiques, les coutumes et les produits artisanaux doivent pouvoir être convertis en ressources et contribuer ainsi au dynamisme des économies locales.

Actuellement, des projets pionniers de tourisme « découverte » sont menés dans diverses régions avec le soutien de l’Agence japonaise du tourisme et d’autres organismes. La préfecture septentrionale de Hokkaidô, entre autres, n’a pas tardé à s’intéresser à ce type de séjour et a joué un rôle de premier plan. En 2017, l’Agence de l’économie, du commerce et de l’industrie de Hokkaidô élabore une stratégie marketing. En 2019, elle propose un séjour artistique et numérique conjuguant culture aïnoue et dernières technologies. En 2021, elle diligente le séjour «  découverte » le plus ambitieux au monde, alors organisé en ligne, il sera reconduit en présentiel l’année prochaine.

Un séjour hivernal comprend des excursions en raquettes dans les forêts, sur et aux alentours du lac Akan : après leur promenade, les visiteurs brisent la glace, pêchent un poisson appelé wakasagi, le cuisinent et dégustent sur place leur prise. Des Aïnous servent de guides et lors de la promenade, ils donnent de petits concerts de musique traditionnelle, expliquent les sites et montrent les us et coutumes des groupes ethniques vivant dans la région.

Randonnée en raquettes à Niseko (photo avec l'aimable autorisation de l'Organisation de promotion du tourisme de Hokkaidô).
Randonnée en raquettes à Niseko. (Photo avec l’aimable autorisation de l’Organisation de promotion du tourisme de Hokkaidô)

Les amateurs de ces séjours Découvertes sont nombreux à venir d’Europe, des États-Unis et d’Australie, pourtant plus de 70 % des touristes venant sur l’Archipel sont asiatiques. La perspective est prometteuse, mais le Japon doit relever ce défi qu’est la diversité des profils. Sur le terrain, afin d’attirer les visiteurs et les fidéliser, on peut également s’attendre à ce que ce type de séjour en appelle aux particularismes locaux. Par ailleurs, impliquer dans ces projets touristiques les habitants des sites visités pourrait participer au renforcement des fiertés d’appartenance, en incitant les locaux à se sentir plus attachés à leur région d’origine, en les poussant à la dynamiser et à la rendre plus attractive.

Ces séjours, tout en participant du développement touristique global, pourraient contribuer à la préservation des sites naturels et entretenir le cadre de vie dans chaque région. Dans un monde post-Covid, on constate un l’intérêt grandissant pour des formes de tourisme durable, responsable et qui invitent les touristes à la modération. Si le Japon aspire à devenir une nation touristique, il devra prendre des mesures pour dynamiser le tourisme sur son territoire tout en se tenant au fait des grandes tendances mondiales.

(Photo de titre : chemin de promenade dans la ville de Betsukai, à Hokkaidô. Photo avec l’aimable autorisation de l’Organisation de promotion du tourisme de Hokkaidô)

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