Saša Stanišic
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Encore un été de tourisme en Croatie, après deux années de limitation à cause de la pandémie, les plages se sont remplies à nouveau, les parkings regorgent de voitures aux plaques d’immatriculation variées et dans les rues l’on entend parler des langues différentes.
Dans la terrasse d’un café donnant sur la mer des touristes parlent entre eux, mi-croate mi-anglais, un couple d’âge moyen et une femme âgée, certainement l’un des deux est un immigré revenu avec la famille anglaise en vacances et le conjoint essaie de s’adapter aux lieux en apprenant quelques mots. Dans un village perdu dans les collines de l’Istrie une famille allemande quitte la mer pour gagner l’intérieur à la recherche du pays d’origine du grand-père parti aux Etats Unis en passant par l’Allemagne, où il a laissé une partie de la famille. C’est avec le concours du voisinage, parlant aussi l’Allemand – toujours un immigré rentré pour les congés – que l’on reconstruit l’histoire de la famille et une visite sur les lieux de l’ancienne maison est vite organisée.
Parmi les milliers de touristes en vacances, tous ne sont pas uniquement intéressés à passer leurs temps étendus sur les plages, il y a aussi ceux qui en profitent pour faire un tourisme nostalgique dans les lieux de leur jeunesse, où un tourisme de la mémoire pour retrouver les souches de l’histoire de leur famille et se ressourcer aux origines.
Littérature de voyage et recherche des origines
Il existe toute une production issue du tourisme de la mémoire et du tourisme nostalgique. Ce sont des exemples les deux récents livres de Kapka Kassabova, Lisière et L’écho du lac, deux récits, dont les impressions ont été cueillies en été, le temps des voyages et des vacances. D’ailleurs, livre Kassabova écrit dans Lisières, « mais c’était toujours l’été cette année-là ».
Des livres à lire l’un après l’autre, la continuité entre les deux ouvrages étant rendue aussi par le choix de l’éditeur, qui a voulu faire des couvertures s’étendant de l’une à l’autre. Dans Lisière, l’auteure commence son récit de voyages le long de la chaine montagneuse de la Strandja racontant des « touristes balnéaires », en réalité des transfuges du communisme, qui partait en vacances avec le but de s’échapper de la cortine de fer à travers le traversement des frontières, pour finir tués par la police frontalière. Cela arrivait entre 1961 et 1989. Des tragédies estivales donc, comme l’effondrement d’un bateau pour le transport touristique dans le lac de Ohrid, reporté par l’auteure qui en a été le témoin direct. Le lac d’Ohrid étant le sujet de son deuxième livre, lieu dans lequel elle place l’origine de sa propre vie, parce que lieu de provenance de la grand-mère maternelle.
Dans les récits de Kapka Kassabova, l’histoire, surtout politique, et les faits divers se mêlent en continuité avec l’histoire de famille, les traditions anciennes, la cuisine d’antan, la beauté de la nature incontaminée et un peu de magie et de mystère que les périples empruntés recèlent à chaque coin, comme le mythe des dragons volants.
Des dragons sont présents aussi dans le livre de Saša Stanišić, Origines, un livre de tourisme de la nostalgie, à la fois célébration de la vie de l’auteur et de la dissolution de l’ancienne Yougoslavie et de son idéal. Une nouvelle réécriture des faits déjà raconté dans Le soldat et le gramophone, qui parlait de l’histoire de la famille de l’auteur, mais cette fois avec plus d’attention sur la vie de l’auteur. Un pèlerinage dans le passé et dans les lieux natals, symbolisé par la description d’un repas consommé au cimetière dans le village d’origine de la famille : Oskoruša, où le nom patronymique de l’auteur lui est continuellement renvoyé des inscriptions sur les tombeaux.
La dimension « romanesque » du Soldat, la première œuvre de Stanišić, où, dans les mots de l’auteur, « la fiction … constitue un monde en soi … un système ouvert combinant l’invention, la perception et le souvenir, et qui se frotte à ce qui s’est réellement passé », laisse ici la place à une narration réalistique composée d’éléments de la quotidienneté, comme des dialogues directs au sujet banal, comme la brosse à dent à la couleur bleu de la grand-mère Kristina, où les textos d’ordre organisationnels échangés dans la famille.
De toute cette réalité, le contre-autel est représenté par le conte sur les dragons, un conte à la carte, dont le lecteur peut choisir l’avancement dans la lecture, voir aussi la conclusion, placé intentionnellement à la fin du roman. Le conte, avec son positionnement signale la place donnée à l’auteur à la fantaisie et à la créativité, or deux remèdes aux difficultés de la vie, comme la narration de sa vie d’immigré faite dans le livre le témoigne, et au deuil de la mort, du grand-père dans le « Soldat » et de la grand-mère dans « Origines ».
A la fois ces romans offrent de l’autobiographie, de l’intimisme par la narration de l’histoire de famille et de la géographie, mi-récits de voyage, mi-contes des lieux et des paysages et de leurs influences sur l’évolution d’une vie personnelle tout comme familiale.
Kapka Kassabova se rend sur les lieux qu’elle a dû quitter pour rencontrer les gens qu’y habitent et reconnaitre dans leur appartenance à ces lieux la sienne, aussi après vingt-années d’absence, pour Stanišić aussi les lieux ont un sens, comme sa naissance en Bosnie (dans l’ancienne Yougoslavie) en tant qu’être humain, et sa naissance en Allemagne comme écrivain, par le biais de la langue allemande.
Sur ce point ; au sujet d’une autre écrivain, Irène Némirowsky, née en Ukraine et ayant écrit en langue française, un de ses commentateurs se demande si serait-elle devenue une romancière à succès sans « la conformation si originaire de son milieu d’origine » ? [1] La même question vaut pour Stanišić est le roman « Origines » répond justement à cette question.
Géographie familiale
D’ailleurs le thème de la famille et des pérégrinations familiales a été un thème cher aussi à d’autres auteurs, prenons Amélie Nothomb qui dans le passé a raconté des épisodes de son enfance et adolescence au Japon, en Chine et aux Etats Unis, en tant que fille d’un diplomate. Elle est retournée à écrire du Japon dans deux autres ouvrages en narrant ses expériences comme jeune stagiaire et en tant qu’adulte revenant au Japon poussée par la nostalgie. Mais c’est avec Premier Sang qu’elle gagne deux prix littéraires d’affilés, le Prix Renaudot en novembre 2021 et prix Strega internazionale en juin 2022.
Comme si la fortune des récits familiaux dépend de l’agrégation des thèmes que l’on a vu dans les ouvrages de Kassabova et de Stanišić, eux aussi ayant gagnés de nombreux prix littéraires, où l’importance de la famille, de son histoire, de l’histoire en général, mais aussi des lieux et de leur géographie. Dans les mots de l’auteure, elle nait en tant qu’écrivaine, lorsque le roman cité se conclut, où au moment où son père, sauvé avec les autres otages belges, n’a plus besoin de charmer avec ses mots les rebelles congolais en 1964. Au même temps, tout comme Stanišić, l’écriture de ce livre a été utile à l’auteure pour élaborer le deuil de la mort de son père.
On peut bien voir comme le mélange de ces thèmes : famille, histoire et géographie peut être source d’inspiration pour l’écriture de romans, pourquoi ne pourrait-il pas inspirer le simple choix d’une destination touristique ? Tout en prévoyant un livre à apporter…