Faut-il se résoudre à plier bagage ? Le tourisme subit depuis deux ans une crise sans précédent, mais beaucoup d’observateurs s’accordent à dire que ce secteur ne peut pas recommencer « comme avant ». Mauvaise insertion dans les économies locales, rôle de l’avion dans le réchauffement climatique, ravages écologiques… De nombreux facteurs pointent les limites du tourisme de masse – ou « surtourisme » – tel qu’il s’est développé depuis des décennies. Aujourd’hui, la promotion du voyage éthique est sur toutes les lèvres, tel un baume apaisant après des décennies de frénésie prédatrice. Mais comment y parvenir ?
Selon Rémy Knafou, géographe, auteur de « Réinventer le tourisme. Sauver nos vacances sans détruire le monde » (éd. du Faubourg), une chose est certaine : « Le tourisme n’est pas une activité futile, ou superflue. Il est nécessaire à nos vies, à nos économies. Mais il faut remettre le touriste au centre. Les entreprises ne peuvent pas seules réinventer le tourisme. » Certes, l’éducation des comportements individuels entraîne parfois de bonnes surprises. Mais les scénarios restent incertains :
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« En 2049, la planète comptera pas loin de 10 milliards d’habitants. On peut s’interroger sur les flux touristiques avec d’éventuelles nouvelles pandémies qui viendront perturber nos déplacements. Sans oublier les conséquences du réchauffement climatique, et la gestion des flux de population qui pourrait devenir l’une des nouvelles armes géopolitiques de certaines puissances, entre crispation identitaire et nationalisme. »
Pour autant, on peut aussi imaginer un futur moins sombre « avec une nouvelle génération plus solidaire, plus investie dans les enjeux écologiques, où les voyages se feront au travers de plateformes collaboratives à but non lucratif ».
Le géographe Rémy Knafou. (YANNICK STEPHANT POUR « L’OBS »)
En attendant, aujourd’hui, 40 % des millennials s’inspirent des réseaux sociaux pour choisir où prendre le large, dans un océan de conformisme et de belles photos filtrées… Qui vivra verra. Néanmoins, on s’interroge, on fait son mea culpa, on plante des arbres pour compenser son bilan carbone et on attrape le virus du flygskam, la « honte de prendre l’avion » en langage suédois version Greta Thunberg. A l’époque des digital nomads, on préfère s’acheter un van ou une tiny house mobile, et prendre la route en famille avec sa planche de surf et son ordinateur portable. « J’espère que le tourisme, dans trente ans, sera moins axé sur la destination et davantage sur la flexibilité, sur l’expérience et la rencontre de l’autre », avance Emmanuel Marill, directeur général d’Airbnb pour l’Europe.
Renouer avec le temps long, la reconnexion, la proximité aussi. Depuis la pandémie et notre mobilité réduite, la redécouverte de son environnement proche a ouvert de nouvelles portes vers l’aventure et « l’ailleurs ». Et pas seulement dans son combi Volkswagen. Les touristes ne forment pas une meute, il y a différentes typologies d’individus : « La même personne peut avoir diverses manières d’être un touriste. Tout dépend du contexte, des désirs, des moyens », rappelle Sophie Lacour, directrice générale d’Advanced Tourism. Elle observe en tout cas des tendances plus vertueuses concernant l’habitat touristique de demain : pour diminuer l’empreinte carbone, les bâtiments utilisent de plus en plus de matériaux écosourcés ou recyclables. « Pour éviter l’hypersaisonnalité, qui provoque volets clos et lits froids, il y a aussi des expériences d’habitats éphémères, qui pourraient même à l’avenir être fabriqués grâce à des imprimantes 3D. »
Comment devenir un touriste responsable
La solution radicale, pour diminuer son empreinte carbone, c’est de voyager… tout en restant dans son canapé ! Les spécialistes de la réalité virtuelle l’ont bien compris, et proposent déjà les voyages de rêve que nous ferons dans la peau de nos avatars numériques dans l’espace, mais aussi – pourquoi pas ? – dans le temps. « Dans la vie réelle, les lointains périples sont destinés à une petite frange de la population, explique Clément Merville, président et cofondateur de Manzalab. Les métavers permettront à tout un chacun, notamment aux familles et amis éloignés, de voyager ensemble aux quatre coins de la planète, depuis leur salon. » Pour Corinne Métillon, directrice marketing stratégique, innovation et communication chez Orange, qui développe ce type d’applications, ce pourrait effectivement être « une manière de réduire les déplacements pollueurs, et de vivre l’expérience comme si on y était, notamment pour les personnes privées de mobilité. »
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Le virtuel, une déclinaison de « slow tourisme » ? L’idée fait bondir Jean-François Rial, PDG du groupe Voyageurs du Monde. « Cela va à l’encontre de tout ce qui fait le sel des voyages : vraies rencontres, odeurs, émotions. Et ce n’est pas plus écologique, car le virtuel consomme énormément d’électricité. Or on ne pourra pas produire assez d’électricité verte pour tous les usages… » Pour lui, tant qu’on n’aura pas réussi à décarboner le transport aérien – ce qui pourra prendre une quinzaine d’années – « il faut mettre en place des taxes écologiques, quitte à augmenter les prix. On doit en passer par là ».
Corinne Métillon, directrice marketing stratégique, innovation et communication chez Orange, Jean-François Rial, PDG du groupe Voyageurs du Monde, Jean-Pierre Nadir, patron de FairMoove. (YANNICK STEPHANT POUR « L’OBS »)
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Jean-Pierre Nadir, patron de FairMoove, plateforme qui propose des voyages équitables, est moins pessimiste : « Il y a plein de solutions pour l’aérien : utiliser des biocarburants, prendre des vols directs sans escale… Mais il est vrai que quand on ne paie pas le juste prix, quelqu’un le paie. Et ce sera la planète ! » Sa philosophie, c’est de « voyager mieux, moins souvent mais plus longtemps ». Quant aux hôteliers, ils doivent s’efforcer de sourcer davantage leurs achats localement. Jongler entre ses envies d’ailleurs et son désir d’éthique. Pas toujours simple. Et puis c’est quoi, exactement, une destination « durable » ? Faire dix heures de vol pour aller replanter des coraux aux Maldives ? Se shooter à la chlorophylle dans la jungle du Costa Rica avant de retourner dans son hôtel climatisé, non loin de spring breakers américains plus destructeurs que des colonies de termites ? « Il ne faut pas confondre destinations vertueuses et destinations vertes », ajoute Jean-Pierre Nadir.
Il reste que si le tourisme écologiquement et socialement responsable fait le buzz médiatique, il ne décolle pas vraiment. Selon une étude Ifop de 2021, un Français sur trois estimait que le développement durable était un critère déterminant dans le choix d’une destination. Mais entre l’intention et le geste, le fossé reste béant. Espérons que, dans trente ans, les jeunes générations, elles, seront passées à l’acte.